S'il a fallu attendre quarante ans pour qu'enfin la France reconnaisse que les fameux “évènements d'Algérie” étaient bel et bien une guerre, la société française, elle, en revanche, n'a jamais mémorisé l'histoire coloniale. Tout comme la problématique actuellement de l'islam en France, la guerre d'Algérie a toujours été vécue comme un problème extérieur aux Français, affirmait, jeudi, Benjamin Stora, spécialiste du mouvement nationaliste algérien et de la guerre d'Algérie, au Salon international du livre d'Alger. L'historien qui a animé une conférence sur “Les représentations françaises en Algérie”, a singulièrement souligné le caractère de perpétuelle extériorité de la guerre pour les Français. “Fondamentalement, il n'y a pas de refoulement de la guerre d'Algérie dans la société française. Car cette dernière, dans son fond, n'a jamais mémorisé la colonisation. Je ne parle pas de ceux que j'appelle les groupes singuliers (militaires qui ont fait la guerre d'Algérie, des pieds-noirs …) et qui ne représentent pas plus de 5 ou 6 millions des 65 millions de Français”. D'après l'orateur, l'absence de représentation politique des minorités en France est l'une des preuves de cette extériorité. “Même lorsque les Français ont voté, majoritairement, en faveur de l'indépendance de l'Algérie, ils l'ont fait dans le souci de se débarrasser de tout ce qui vient du Sud et non par reconnaissance au peuple algérien d'accéder à son indépendance”. Evoquant son travail sur la guerre d'Algérie, qui s'étale sur une trentaine d'années, le conférencier soulignera dans un “schéma arbitraire” trois étapes. La première étape (1975-1985) est basée sur les archives écrites, la 2e, fin 1980-début 1990, basée sur l'histoire de la mémoire alors que la 3e, fin 1990, puise dans des sources visuelles, les images fixes et animées (photographies et production de fiction). Stora soulignera également le rôle de l'image comme vecteur d'information mais aussi de propagande durant la période coloniale. “Aujourd'hui, l'image fabrique l'histoire. On assiste plus que jamais à une guerre des images. La guerre en Irak en est l'exemple. Il faut réfléchir sur l'histoire occultée ou mise en secret. La production de l'image durant la guerre était gigantesque du côté français où on compte pas moins de 150 000 photos pendant la guerre. Sur ces photos, on voit que les Algériens sont soit absents, soit ils sont diabolisés”. L'historien soulignera cependant le caractère ambivalent de la photographie. “Certaines de ces photographies reflètent l'image d'un zoo humain”. À ce titre, le conférencier avancera l'exemple des photos d'identité des femmes algériennes réalisées par Marc Béranger. Sur l'ensemble des photographies prises durant la guerre d'Algérie, les Algériens sont presque absents à quelques exceptions presque, précisera-t-il. Revisitant la production cinématographique algérienne durant la décennie écoulée, Benjamin Stora soulignera un manque flagrant depuis les années 1980, la plupart des films sur la révolution ayant été produits dans les années 1970. “La production visuelle algérienne ne fonctionne plus depuis longtemps, c'est un paradoxe par rapport à l'actualité mondiale. Grâce à leurs films, les Américains sont parvenus à fabriquer une mémoire d'une guerre perdue sur le terrain”. W. L.