Il a accusé le promoteur de roublardise et de corruption. “Votre projet est arrêté. Si vous ne vous conformez pas à cette décision et à toutes celles émanant de mes services, vous risquerez la prison.” Intransigeant et menaçant, le ministre du Tourisme et de l'Artisanat, M. Mohamed Dorbani, ne s'est laissé à aucun moment infléchir par les propos ostensiblement rassurants de Salah Terra, le promoteur par qui le scandale du foncier à Zéralda est arrivé. En déplacement, hier, sur les “lieux du crime écologique” qui a touché quelque huit hectares du littoral ensevelis sous le béton, le représentant de l'Exécutif semblait, tout au long de son parcours sur le site, ahuri par l'ampleur du désastre. “C'est une anarchie légalisée”, s'est-il écrié à plusieurs reprises, indigné. Face à Terra qui ne cessait de multiplier les tentatives pour le convaincre et le séduire en lui faisant miroiter un projet grandiose d'investissement touristique, il est sorti plusieurs fois de ses gonds en l'accusant de roublardise et de corruption. “Je sais qui vous êtes, d'où vous venez et ceux qui sont derrière vous”, lui a-t-il assené. Dans une note d'information distribuée à la presse, le ministre fait état en effet de sa connaissance scrupuleuse de cette affaire de coopérative immobilière suspecte qui s'est lentement transformée en projet touristique virtuel. “Savez-vous que ce terrain est incessible et insaisissable, qu'il est protégé par l'ordonnance de 1966 et le décret exécutif de 1988 — relatifs à la préservation du littoral ? ”, a-t-il demandé à son hôte. Muni de toutes sortes de décisions administratives et judiciaires qui lui ont permis d'accaparer le sable et la forêt pour bâtir son empire immobilier, ce dernier a bien entendu nié être en infraction avec la loi : “Venez voir, M. le Ministre, les ateliers aménagés pour les artistes (…). Regardez cette maquette. Vous voyez les bungalows ? Nous allons inaugurer un aquaparc en juillet prochain”, a ainsi soutenu M. Terra. Dans la vaste propriété, des maisons qui devaient à l'origine accueillir des enseignants de l'école des Beaux-Arts sont effectivement érigées. Or, comme l'a certifié, sur la base d'une enquête, le wali délégué de Zéralda, ces habitations ont été affectées à des tiers qui n'ont aucune relation avec le monde des arts. “Ce n'est pas de ma faute si les propriétaires originels les ont louées ou vendues à des membres de leurs familles ou à des connaissances”, a tenté le contrevenant de se justifier. Aux yeux du ministre, cependant, bien que le détournement de ce qui est appelé le village des artistes soit un délit, sa création en est un autre. “Vous parlez d'ateliers, mais ce sont de véritables villas. Qui vous a, à l'époque — fin des années 80 —, octroyé cette assiette de terrain ?”, a demandé M. Dorbani en rappelant de nouveau les textes de loi qui interdisent la cession. “C'est le wali de Tipasa qui voulait ainsi nous remercier (lui qui était céramiste à l'époque, et d'autres enseignants des Beaux-Arts, NDLR) pour des travaux d'embellissement de la ville de Zéralda”, révèle M. Terra. “Qui était ce wali ?”, a insisté le ministre. Faisant mine de fouiller dans sa mémoire, l'ex-“beaux-ariste” prononce le nom de Lahouel, gendre de l'ancien président de Chadli Bendjedid. C'est à Terra qu'échouera ensuite le rôle de diriger la coopérative immobilière. Au milieu des années 90, il réussit à se convertir en obtenant des mains d'un autre wali 6,3 hectares supplémentaires, tout autour du village des artistes, pour promouvoir un projet hôtelier dans le cadre de la Zone d'expansion touristique (ZET). L'APC de Zéralda et la Direction des forêts portent plainte. En vain. Grâce à une décision de justice en sa faveur, l'investisseur bien chanceux est autorisé à construire. “Vous voyez ce monsieur, il a réussi grâce à son influence et à son argent à empiéter sur les lois”, s'est écrié le ministre, révulsé, à l'adresse de toute la délégation qui l'accompagnait. Autorités locales, cadres du ministère, journalistes…, le représentant du gouvernement stigmatisé pour son silence voulait ainsi, face à cette large assistance, montrer que les pouvoirs publics sont loin d'être passifs ou indifférents. Interrogé sur la complicité de certaines institutions bancaires qui ont débloqué des crédits pour le financement du projet suspect de Terra et son soutien par des magistrats, M. Dorbani a confirmé ces accointances. Il a néanmoins affirmé qu'il faut attendre que toute la lumière soit faite autour de cette affaire. “La justice (encore elle !) doit faire son travail”, a-t-il dit. En guise de mesures préventives à d'autres tentations d'accaparement du foncier touristique, le ministre a évoqué les instructions envoyées aux collectivités locales pour lutter contre le détournement de ces espaces ainsi que la loi relative aux conditions relatives aux projets hôteliers… Des mesures dont M. Terra ne s'est pas du tout accommodé pour commettre un crime sur la nature. Pour peu que l'Etat cette fois-ci aille jusqu'au bout de ses engagements. Durant près d'une décennie, la presse s'est fait l'écho de ce scandale. Des artistes de la coopérative, floués et arnaqués, ont également saisi toutes les instances, y compris la présidence de la République. Rien n'y fit. On disait l'homme puissant et protégé. S. L.