Combien coûte au Trésor public, et par voie de conséquence, à la collectivité nationale, cette corruption que tout le monde dit tentaculaire, mais dont peu désignent directement les bénéficiaires ? On sait déjà que la dernière gigantesque affaire de corruption et de trafic d'influence à grande échelle, celle de Khalifa et des nombreux “vizirs” et porteurs d'eau qui gravitaient comme des hannetons autour du groupe, a soulagé les caisses de l'état d'un montant estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars. Si l'exemple du groupe éponyme est extrême, il n'en traduit pas moins le degré effrayant d'enracinement du fléau dans les mœurs politiques et sociales. Ne pouvant plus l'ignorer, le chef de l'état a reconnu, hier, que “cette forme de criminalité insidieuse entrave le développement économique, fait fuir les investisseurs étrangers, cause un grand tort aux citoyens et mine la confiance des populations dans l'état”. Le phénomène n'a certes plus la nouveauté choquante sinon celle des pics qu'il a atteints et qui ont alerté jusqu'à des institutions internationales. Dans son dernier rapport sur ce sujet, la Banque mondiale révèle, après enquête, que 75 % des entreprises intervenant en Algérie ont reconnu verser des pots-de-vin pour lever les entraves à leurs affaires. Par rapport à leur chiffre d'affaires, ces mêmes entreprises ont chiffré le coût de cette corruption à 6%. Dans les faits, il est de notoriété que les montants versés par les investisseurs nationaux ou étrangers pour se frayer un chemin dans les maquis bureaucratiques correspondent en réalité à des surcoûts facturés et à travers lesquels les arroseurs, obligés ou cupides, récupèrent leur dîme. Les conséquences de la corruption sur l'économie nationale sont néfastes à tout point de vue. Outre les ponctions indues sur les deniers publics, elles se traduisent par des livraisons d'équipements de qualité douteuse ou une fourniture de prestations médiocres. Ce sont, bien sûr, le secteur économique public et les institutions étatiques qui apportent la plus grande part de grain à moudre au moulin de la corruption. C'est ce qui explique en bonne partie, du reste, pourquoi c'est la croix et la bannière dès qu'il est question de mettre sérieusement sur les rails les privatisations. Cependant, la corruption, grande ou petite, ne se réalise pas seulement à travers la mise en relation de l'étranger aspirant à faire de bons profits et des représentants des différents clans du pouvoir qui se répartissent les commissions. En effet, on assiste de plus en plus à une fulgurante émergence d'acteurs économiques nationaux brassant des chiffres d'affaires colossaux, dans le même temps où l'Administration algérienne n'arrive pas à remonter des profondeurs abyssales de la médiocrité et de la prévarication. Mis l'un en face de l'autre, ces deux éléments entretiennent le terreau d'une corruption interne certainement volumineuse parce que permanente et systématique. Pour juguler ce fléau, le président Bouteflika a appelé, hier, “à mettre en place un groupe de travail composé de représentants de tous les secteurs ministériels et instances publiques concernées”. Est-ce vraiment la bonne solution ? A. H.