On recherchera certainement longtemps des responsabilités dans la catastrophe du port d'Alger. La fraîcheur de la tragédie empêche à peine les autorités de passer à autre chose. Elles l'ont d'ailleurs symboliquement fait, le soir même du désastre, quand le journal télévisé de la chaîne d'Etat donnait la préséance au protocole présidentiel sur le drame humain qui s'était joué dans la rade, à un jet de pierre du siège du parti Entv. Sûrement que les familles des victimes bénéficieront de diligentes pensions. L'ascension irrépressible du prix des hydrocarbures aidant, le réflexe humain du pourquoi a largement laissé place à la culture politique du “combien ça coûte”. Et si l'argument financier ne suffit pas à faire taire les importunes apostrophes, le pouvoir aura bientôt mis en place la propice commission d'enquête, providentiel procédé de dissimulation des responsabilités. Cette chronique, suspendue depuis le 21 octobre, était restée sur une interrogation concernant une énigme historique : l'énigmatique préservation des oléoducs qui déversaient, dès le 15 décembre 1959, le pétrole du Sahara dans les ports de la Méditerranée par le FLN. Le questionnement inspiré de “l'allégation” d'un historien français a déplu. Le pouvoir au pouvoir ressemble. D'essence politique, économique ou sociale, l'abus s'apparente à l'abus. Dans le pouvoir ou dans l'opposition, ou oscillant entre eux, l'exclusion monte la garde sur le large sérail qui entretient le système et s'en sert. “La lutte pour le progrès n'a jamais été que le combat entre la mémoire et l'oubli.” Mais ce qui vaut pour l'histoire vaut pour l'actualité. Comme nul ne fut responsable du crash de Tamanrasset, nul ne sera redevable de la vie des seize marins engloutis par les eaux déchaînées de la baie d'Alger. La dissimulation des fautes passées ou récentes des maîtres est une activité nationale et consensuelle. Elle fonctionne comme le véritable moyen de perpétuation du système politique national. On y trouve massivement son compte dans cette impunité généralisée. Seule exception répréhensible : la remise en cause de cet équilibre de la complaisance. On peut alors se retrouver en prison pour une broutille, comme celle, par exemple, de transporter des bons de caisse. Ainsi se passe cet immuable règne collectif sur l'inviolable boîte de Pandore. Tous les pouvoirs, de toute nature et à tous les niveaux, s'emploient solidairement à empêcher que les vices du système soient connus et contribuent ainsi à cacher la nécessité de son évolution. La censure ayant une fin, un jour, comme aujourd'hui, tout se saura. M. H.