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"Ma première bataille, la création de l'école des cadets"
Tahar SaIdani, à "LIBERTE"
Publié dans Liberté le 01 - 11 - 2014

Cet ancien commandant de l'ALN et fondateur de l'école des cadets de la Révolution avant l'indépendance retrace dans cet entretien le difficile combat pour la liberté et le sacrifice de milliers d'Algériens pour la souveraineté nationale.
Liberté : qu'est ce que vous inspire la date du 1er Novembre ?
Tahar Saïdani : La date du 1er Novembre est importante. C'est une date hautement symbolique pour rétablir entre les Algériens, le dialogue qui est la seule alternative durant ces moments difficiles que nous vivons actuellement. Les citoyens, porteurs d'un regard critique sur le bilan de l'indépendance de notre pays, sont, que vous le vouliez ou non, nos citoyens à convaincre...
Pouvez-nous nous parler de cette période de l'histoire de l'Algérie et du comportement des colons français à l'époque ?
Les Français nous ont appelés avec mépris, indigénophile, alors qu'on a toujours existé. À l'occasion du 1er Novembre je dénonce les crimes commis, le racisme, les inégalités, la répression de l'occupation française malgré l'appel des intellectuels et des politiques à trouver des solutions acceptables par tous. Le 1er Novembre nous a permis de ne pas rester une voix criant dans le désert, et porter des protestations brisées sur le mur des incertitudes de la majorité de nos aïeux. Est-ce qu'une fois, en cent trente-deux années de domination coloniale, une seule solution a été en mesure de l'emporter ? Le royaume arabe cher à Napoléon III (qui ne fut pas petit en cette affaire) s'est brisé sur l'hostilité des colons tout comme la politique de compréhension voulue par nos gouvernements successifs vis-à-vis des gouvernements français. L'exemple de la terrible réponse de mai 1945 aux premiers drapeaux algériens à Sétif sous Ferhat Abbas, le plus modéré des leaders algériens si vite trahis par le trucage des élections à la Haegelen est à ne pas oublier. Entendons-nous bien. Notre pays voulait simplement une coexistence harmonieuse entre les communautés, même si l'Algérie algérienne était inscrite dans la révolution et du 1er Novembre. Sans enquête statistique, sans sondage, il est difficile de savoir ce que pense la majorité de nos frères algériens. Mais le moins qu'on puisse écrire est qu'une immense partie de notre communauté, celle qui s'exprime, persiste à dire que le 1er Novembre est le déclenchement de la révolution. Paraphrasant Prévert, on pourrait écrire : "Depuis dix, vingt, quarante ans, cinquante ans ils cultivent la même idée fixe...". C'est vrai, l'indépendance de notre pays était déjà dans tous les esprits.
Parlez-nous de votre participation à la révolution et des combats qui ont lieu notamment dans l'est du pays ?
J'ai souvent évoqué avec ma famille les combats, dans les régions de l'Est algérien en cette période. Je ne sais pas si j'ai été traumatisé par cette tranche de vie. Je n'ai jamais vraiment ressenti d'amertume. En citer des faits, les parcours, la manière dont j'ai réagi dans des situations difficiles. L'enchaînement des situations n'était pas toujours expliqué. On ne pose jamais assez de questions, mais en tant que maquisard pouvait-on avoir une réponse appropriée aux questions du "pourquoi"?, "comment se fait-il" ? Le soldat engagé en 1957 dans le maquis que j'étais ne ressemble pas forcément au vieux retraité que je suis devenu maintenant même si un scénario comique rappelle parfois des situations cocasses de cette période. Tout le monde sait aujourd'hui que de durs combats ont eu lieu dans les régions de l'Est plus fort que partout en Algérie. Les pertes humaines ont été nombreuses dans les deux camps, algériens, comme français, parfois supérieures. L'armée occupante a commis des crimes de guerre sur notre territoire. Elle a exécuté beaucoup de civils qui ont soit résisté soit refusé de collaborer... Soit refuser de donner un simple renseignement. J'ai été le témoin d'une période dramatique et ô combien douloureuse, mais la mémoire est sélective. Elle a été influencée par les commentaires et les analyses. Mais les faits sont pourtant incontournables.
Avez-vous consigné ces événements dans des écrits ?
Certains de mes récits, dont un livre que j'ai écrit, sont constitués de textes organisés de manière chronologique. Des textes généraux alternent avec des propos reconstitués fidèlement à ce que j'ai entendu. Des photos, des documents, une liste de noms de valeureux maquisards complètent l'ensemble. Des silhouettes et des visages de martyrs pour certains apparaissent. Je remercie par avance celles et ceux qui reconnaîtront un parent ou un ami de leur famille et qui auront la gentillesse de me le faire savoir afin qu'ils sortent de l'oubli un instant. Je n'ai pas rejoint le maquis le 1er Novembre mais en 1957. Je n'avais aucune instruction militaire et mon équipement était des plus sommaires. Mais je faisais assez souvent des exercices et de longues marches pour rejoindre mes frères au maquis. Quasi régulièrement je traversais des endroits hostiles et froids. J'avais un guide bien sûr, qui devait m'amener vers les maquisards, et après 7 mois de marches, j'en avais rencontré enfin un, il m'avait semblé si frêle et d'une allure si décevante.... Pourtant cet homme à l'allure insignifiante était un monsieur qui a participé aux deux batailles les plus importantes de l'histoire de notre révolution : Celle du 4e bataillon et celle du Djorf dans la Wilaya une.
Quelle a été votre première bataille ?
Ma première bataille fut d'avoir créé l'Ecole des cadets, déjà au maquis. Cette école a donné les meilleurs officiers à l'armée algérienne. Parmi eux, il y en a qui ont participé à la guerre, mais surtout, pour ceux qui sont encore de ce monde sont responsables dans les plus hautes hiérarchies de l'Etat. L'Ecole des cadets de la Révolution a formé beaucoup d'officiers responsables, sérieux, et profondément nationalistes. J'ai participé à d'autres batailles également. Les plus importantes sont celles de souk Ahras, plutôt appelée la bataille de Boumedjene. Malgré le manque d'armes dans les wilayate comme celle du Centre. La III et la IV ont failli étouffer parce que loin des deux frontières tunisienne et marocaine. C'était donc un avantage pour les Français qui les harcelaient constamment.
Nous savons que vous avez été dans l'acheminement des armes...
Ce fut Mohamed El-Kebaïli, un commandant de la base de l'Est qui a été le premier à prendre le premier convoi d'armes à destination des wilayas du Centre. Durant le chemin, il pensait trouver le temps de revoir sa famille un instant... Mais il ne les reverra jamais. Il avait rencontré l'ennemi Serge Elghoul dans la Wilaya III. Il usa toutes ses cartouches... Puis ce fut au tour d'Ahmed El-Besbessi capitaine avec 400 moudjahidine. Il chargea 100 mulets d'armes et de munitions.
Chaque moudjahid portait deux fusils ou deux mitraillettes. Il y en avait une pour lui et l'autre à remettre à un maquisard du Centre. Le 3e bataillon fut conduit par le capitaine Slimane Lasso, et le 4e par Youcef Latrache. Ils mettaient 4 à 5 mois pour la livraison avant de revenir aux frontières de l'Est algérien. C'est grâce au courage et à la bravoure, au sacrifice et à l'abnégation des hommes de la base de l'Est que la survie du Centre fut une réussite. Les bataillons d'acheminement ont joué un rôle décisif dans la guerre.
Car si le Centre avait flanché, le pays aurait été sérieusement déstabilisé.
Des souvenirs avec d'autres maquisards ?
J'ai connu et j'ai aimé ces braves, dont plusieurs sont morts au passage de la Seybouse en crue et qui resteront inconnus de nous à ce jour. Ils avaient donné leur vie à ce pays afin que ce peuple puisse vivre libre et en paix. Aujourd'hui, nous pouvons leur dire bravo et merci. Les Wilayas III et IV ont survécu jusqu'au bout et l'Algérie a été indépendante grâce à ce prix de sacrifice désormais inscrit dans la date du 1er Novembre. La France avait tout fait pour nous effacer, mais elle n'a pas réussi. Elle a aussi essayé de nous affamer, mais la nourriture nous venait du peuple, Elle a créé un no man's land, mais elle ne réussit pas non plus à nous empêcher de traverser les lignes électrifiées... Chaque fois que le colonisateur a essayé de nous mettre à genoux, nous nous sommes relevés plus forts. Le 4e bataillon avait une stratégie de résistance: de Boumedjene et de celle de Souk Ahras. On avait alimenté en permanence le Centre en armes diverses et lorsque nos hommes revenaient après 6 mois de voyage à pieds affaiblis et malades, ils furent soignés à Bedja en Tunisie dans le centre Mokrani. Ce centre porte le nom du propriétaire des lieux. Les Mokrani de Tunisie ont combattu pour l'Algérie depuis Messali El-Hadj à l'indépendance : hommes, femmes et enfants. Ces gens ont leur place dans l'histoire de l'Algérie.
Le rôle du 4e bataillon était donc dans une stratégie de guerre. Quand a pris fin la fourniture des armes ?
Ce fut Mohamed El-Ouhrani un ex-lieutenant de l'armée française qui prit ensuite le relais permettant l'acheminement des armes. Son bataillon était composé de 900 hommes qui se formèrent au combat. Ils devinrent des commandos opérationnels sur tout le territoire. Ce travail fut celui du 4e bataillon. Ils se déplacèrent 40 km par jour, lourdement chargés. Ils tracèrent leur déplacement suivant des points d'eau, mais les itinéraires changeaient souvent... J'avais la charge de cette organisation dans la continuité des batailles contre l'armée coloniale.
Quelle a été la réaction de l'armée française ?
Durant ce temps, les Français développaient les atrocités. Ils tuèrent femmes et enfants qui ne leur donnaient pas un renseignement. Ils les poursuivaient jusque dans les gîtes. Rares sont les hommes qui échappèrent à leur poursuite. Torture et assassinats sans oublier qu'ils jetèrent des moudjahidine d'hélicoptères. Mais nous étions préparés, car rien ne devait stopper notre mission d'acheminement des armes. C'est moi qui donnais le nom au 4e bataillon parce qu'il en y avait déjà 3 sur le terrain.
Au lieu de les nommer en zones. Le premier bataillon donc était commandé par Chaouichi Laissami, le 2e par Abderrahmane Ben Slalem, le 3e par Tahar Zbiri et le 4e par moi-même. J'avais soigneusement mis au point une stratégie pour l'acheminement des armes. Mais dès que les généraux français apprirent la nouvelle de notre organisation, les Français chantèrent haut et fort que l'Algérie était perdue. Qu'elle était française et qu'elle le restera. Et que les fellagas, comme ils nous appelaient n'existent plus. C'était justement suite à cela que l'état- major de la base de l'Est décida de prouver à l'ennemi que l'ALN est toujours là. Telle fut la décision de la grande bataille de Boumedjene inscrite ensuite dans l'histoire de la guerre d'Algérie. Nous leur avons fait une bataille sans merci. Jour après jour nous prouvâmes à l'ennemi que l'Algérie était présente. Qu'elle était debout et qu'elle se battra jusqu'au bout. Le commandement, dont je faisais partie désigna un état-major pour diriger le bataillon dont les chefs étaient : Mohamed Lakhdar Sirine, Youcef Latrache Ahmed Drai, Mohamed chérif Messadia, Salem Juliano, et Nedoua Amar dit Amar Gaid. Youcef Latrache traversera seul la ligne Challe et Morris. Il conduira la bataille et mourra sur le champ d'honneur les armes à la main le 3e jour de la bataille et aura à titre posthume le grade de commandant.


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