Témoignage n Pendant ma participation au combat libérateur contre l'armée française dans les maquis, j'avais toujours sur moi un petit carnet de route ; je notais des noms, des dates, des lieux, tout ces événements qui m'ont marqué à tout jamais ; j'écrivais, je relatais nos embuscades et accrochages contre l'ennemi durant la Révolution armée. Aujourd'hui, je voudrais adresser cet hommage aux familles de nos moudjahidine, aux parents de mes compagnons morts au champ d'honneur, en héros, à mes côtés, en faisant le sacrifice suprême avec la conviction de n'accomplir que leur devoir de patriotes, de combattants anonymes de la liberté. Je voudrais que leurs noms ne disparaissent pas des mémoires de ceux qui les ont connus. Nos valeureux martyrs, que leur mémoire soit honorée, que leurs familles, leur peuple sachent combien ils ont été superbes. Maintenant, je veux écrire les lettres que je n'ai pas transmises dans les moments difficiles. Ces lettres à nos jeunes enfants de notre valeureux peuple, pour qu'ils n'oublient jamais nos vaillants chouhada morts au combat, face à l'armée française qui n'a pas hésité à pratiquer la politique de la terre brûlée, détruisant tout sur son passage, brûlant maisons et forêts, se vengeant sur notre courageux peuple qui a consenti tous les sacrifices ; par son engagement, il était plus qu'un soutien logistique pour les moudjahidine. Je n'oublierai jamais – et cela devrait rester gravé dans la mémoire collective – l'accueil chaleureux, réconfortant et revigorant que nous réservaient les populations civiles en nous nourrissant et nous logeant après nos batailles et nos longues marches harassantes. En effet, combien sont-ils, nos enfants de vingt ans, universitaires, forces vives de l'Algérie de demain, à connaître le chahid Si Zoubir de Soumaâ, de son vrai nom Souleimen Tayeb, mort héroïquement au champ d'honneur le 22 février 1957 au douar de Sbaghnia, dans la wilaya de Blida, pour protéger la vie d'environ quatre cents étudiants et lycéens qui avaient fui les villes pendant la grève générale des huit jours des commerçants et qui étaient en attente dans cette localité avant d'être envoyés en Tunisie et au Maroc pour l'acheminement d'armes à notre Wilaya IV qui en avait un grand besoin, ou afin de terminer leurs études. Mais le nombre important d'étudiants restés trop longtemps dans la région avait attiré l'attention des soldats français. Vers 15 h, ils se sont retrouvés encerclés par une quinzaine d'hélicoptères Sikorsky. Les parachutistes français se sont acharnés sur les étudiants désarmés. Si Zoubir ainsi que vingt-sept étudiants, dont une lycéenne, ont été tués dans cette bataille. Allah Yerham Echouhada. Le chahid Si Moussa, chef du commando Si-Zoubir, commandant de la compagnie El-Hamdania, région III, et chef du commando de la Zone 2 wilaya IV, est tombé au champ d'honneur dans un grand combat. La place de la ville de Chréa porte son nom. Si Moussa Kellouaz était soldat dans l'armée française durant la guerre d'Indochine, ainsi que Si Ahmed Kelassi, Chamani Abdelkader de Aïn Defla, Si Maâmar Maâmar de Oued Djar et Brakni Brahim de Blida ; ils ont accompli leur service national dans l'armée française, avec leur expérience militaire, ils étaient l'ossature du commando Si-Zoubir qui a réussi à sortir victorieux dans plusieurs bataille de l'ALN contre l'armée française. Le commando Si Baghdadi, de son vrai nom Allili Ahmed, de Boufarik, est le premier à avoir fait entrer des armes de l'extérieur (de Tunis). A son arrivée, au mois de mai 1958, il procéda à une répartition des armes aux trois zones de la Wilaya IV, la zone I, Lakhdaria (ex-Palestro), la zone II Blida, la zone III Ouarsenis-Zaccar (Chlef). En juillet 1958, Si Baghdadi est appelé à se rendre de nouveau au Maroc, il eut cette fois moins de chance dans le Sahara entre El-Bayadh et Mecheria, à une étape de la frontière algéro-marocaine, au sud-ouest d'El-Aricha ; il est surpris avec quelques maquisards en plein chott El-Gherbi, un espace plat à perte de vue et désespérément désertique, il n'eut d'autre choix que de livrer bataille aux soldats français avec l'espoir de ne pas être pris vivant. Il se jeta sur l'ennemi en brandissant son arme au cri d'«Allah Akbar». Il alla ainsi au-devant d'une rafale de mitrailleuse de l'ennemi qui mit fin à une glorieuse vie dont les pages sont à écrire en lettres d'or. Mon compagnon Brakni Braham, la perle de l'équipe de football de l'USM Blida, est mort au champ d'honneur en donnant l'assaut pour récupérer un fusil-mitrailleur, lors d'un accrochage au douar de Brakna, près de Cherchell. Brakni voulait ce fusil coûte que coûte, parce que quelques jours auparavant, en quittant notre commando Si-Zoubir pour une mission de grande importance, il y avait laissé sa mitraillette MA 49 ; c'était la coutume et le règlement de l'ALN. Armé d'un pistolet, Brakni était déterminé à récupérer un fusil-mitrailleur dans cette bataille, cet assaut lui a été fatal. Du côté de l'ennemi, les pertes ont été très importantes. Noufi Abdelhak de Cherchell est mort dans la grande embuscade de Lala Ouda Damous, daïra de Cherchell, le 28 février 1957, avec le bataillon du commando de la Wilaya IV sous le commandement de Si Yahia. Cette embuscade menée par les moudjahidine était un véritable succès ; plusieurs dizaines de véhicules ont été détruits, un important arsenal d'armes automatiques a été récupéré, un avion abattu et des dizaines de soldats français tués. Si Abdelhak est mort ce jour du 28 février 1957, en essayant de démonter, sur un half-track, une mitrailleuse 12/7. L'ennemi a récupéré son corps, il a été exposé sur la place de la vieille ville de Cherchell ; les paras ont ensuite amené sa mère, lui disant : «Voilà ton fils, le fellaga» ; elle a répondu : «Ce n'est pas mon fils, c'est le fils de l'Algérie.» Le commandant Si Yahia, de son vrai nom Aït Maâmar, chef de bataillon de la Wilaya IV, est mort le 15 avril 1957 dans la bataille de Sidi Madani à Tamesguida, entre Blida et Médéa. Si Yahia et sa section ont mené une lutte acharnée contre des milliers de soldats, toute une journée, les moudjahidine se relayant sur la seule mitrailleuse 24/29 qu'ils avaient avant de mourir. Chacun disait à l'autre : «Oh mon frère, fais ton possible, ne laisse pas les soldats français nous prendre la mitrailleuse 24/29.» La bataille faisait rage, des centaines et des centaines de soldats français sont morts malgré l'appui de l'aviation. Si Yahia a tenu tête aux forces françaises. La 8e armée de Maison-Carrée (El-Harrach) à Alger a été dépêchée sur les lieux du combat. Si Yahia disait à ses moudjahidine : «Tenez bon, courage ; tirez, tirez, Allah Akbar.» Tard, le soir l'assaut a été lancé contre la section de Si Yahia, seuls quatre moudjahidine ont pu s'en sortir et ils ont sauvé la mitrailleuse 24/29 qui leur tenait tant à cœur. Plus de trente moudjahidine sont morts héroïquement avec leur commandant Si Yahia. «Allah Yarham echouhada.» Aujourd'hui, combien sont-ils, nos adolescents, à connaître le nom du chahid Bouras Mohamed d'El-Afroun, mort à 17 ans dans la bataille de Tamesguida, le 22 mars 1957, où notre commando Si-Zoubir a anéanti les paras du colonel Bigeard, des éléments d'élite expérimentés en guérilla en Indochine ? Ce bataillon, dirigé par le lieutenant Guillaume (le fils du général Guillaume, résident au Maroc pendant le protectorat), était formé de soldats français volontaires pour passer la nuit au maquis. On leur avait promis des promotions ; sa mission était de faire une opération pour démontrer à une délégation de sénateurs américains et français que la région de Blida était pacifiée et que seuls quelques rebelles communistes, des fellagas, subsistaient. Nous avons abattu le lieutenant Guillaume et ses 58 volontaires armés, nous avons fait prisonnier le sergent-chef. Le lendemain, la ville des Roses était en deuil. Les paras ne sont pas revenus. Aujourd'hui, qui de nos enfants connaît le nom du chahid Benmira Tayeb, dit El-Istiqlal, de Theniet El-Had ? Nous lui avions donné ce surnom de El-Istiqlal parce qu'un jour, pendant un cours, il nous avait dit : «Je ne connais ni l'indépendance ni l'istiqlal, je suis venu pour combattre et je serai chahid.» Il tomba au champ d'honneur le 26 avril 1957, un vendredi, le 27e jour du ramadan, Leïlet el-Qadr, durant la bataille de Sidi-Mohamed-Aklouche, dans la région de Cherchell. Lui qui, la veille, nous disait qu'il serait chahid dans la bataille du lendemain et qu'il nous devancerait au Paradis – Djenat el-Ferdaous. Notre frère El-Istiqlal, grièvement blessé au ventre par une roquette, était heureux de mourir pour l'Algérie. Ses derniers mots ont été : «Prenez mon arme, transmettez mon salut à mes compagnons et si un jour vous êtes de passage au douar Mira de Theniet El-Had, transmettez mes salutations à ma famille, embrassez ma fille… Et maintenant, laissez-moi mourir ! Partez vite !» El-Istiqlal nous pressait de partir car il savait que les troupes françaises étaient à côté et que nous devions continuer la bataille. Au cours de ce combat, nous avons perdu notre compagnon Benmira Tayeb, dit El-Istiqlal et deux moudjahidine ont été blessés. L'ennemi a subi de lourdes pertes – 64 morts et des centaines de blessés, ainsi que deux avions de chasse T6 Morane abattus. Les chouhada Cherfaoui Ahmed de Cherchell et Ahmed Abbas de Mouzaïa, sont morts dans la bataille de Sidi Semiane, le 20 mai 1957. Pendant toute la durée de l'accrochage, alors que l'ennemi, sachant que nous étions dans la forêt, y a mis le feu pour nous brûler, des youyous de joie et d'encouragement de notre peuple nous parvenaient des douars environnants. Nous nous en sommes sortis miraculeusement, tout en infligeant de lourdes pertes à l'ennemi. A la fin de cette bataille, l'armée française avait tout brûlé. La population a accouru vers nous, apportant du lait et de la nourriture, indifférente aux maisons qui brûlaient. C'était un vaillant peuple. Takarli Slimane et Si Mahfoud de Khemis El-Khechna, tombés au champ d'honneur, le 4 mai 1957, dans l'accrochage de Zaccar contre le 29e Bataillon des tirailleurs algériens (BTA) ; ils sont morts alors qu'on s'apprêtait à prendre position, quand soudain ont éclaté des coups de feu. L'ennemi tirait sur notre premier groupe, les voltigeurs français nous avaient devancés sur la crête. Takarli Slimane et Si Mahfoud ont été tués par la même rafale de mitrailleuse. Ce jour-là nous étions trente-cinq moudjahidine contre un bataillon de soldats français. Nous en avions tué un grand nombre et fait un prisonnier pied-noir d'Oran. A l'occasion de l'anniversaire du Congrès de la Soummam, le 20 août 1957, la katiba El-Hamdania était désignée pour harceler les villes de Cherchell, Novi, Damous, Gouraya, Hadjeret Enous, Menaceur, Sidi Amar, Larhat et ce, sur un rayon de 80 kilomètres. A 19h 40, notre groupe est arrivé à l'endroit d'où l'on devait attaquer la caserne d'officiers français de Cherchell ; nous étions l'un à côté de l'autre, tous armés de fusils Garand et de Mas 56, nos doigts sur la gâchette. Nous savions que les autres groupes de moudjahidine de notre katiba El-Hamdania étaient dans la même position que nous, prêts à atteindre les objectifs indiqués. A 20 heures précises, nous avons commencé à tirer tous ensemble, à la même seconde. C'était la panique dans la caserne de l'Ecole des officiers de Cherchell ; on entendait les cris de douleur des soldats français surpris par notre attaque. Les sirènes hurlaient, c'était le branle-bas de combat. Beaucoup de nos enfants et de notre peuple ne savent pas que l'ancien militant Si Belkbir Belahcen, dit Koza, de Khemis Miliana est mort héroïquement avec d'autres chouhada, l'arme à la main, à quelques mètres de l'infirmerie de l'ALN, dans les monts du Zaccar, près de Mesquère et du douar Houara, au mois d'avril 1957. Gloire à nos martyrs. Les deux fidayine du Sahel, Si Billa Mouaz M'hamed de Koléa et Zouaghi Zoubir de l'USMB de Blida sont morts à Mahelma (Zéralda) les armes à la main, en combattant l'ennemi français. Je rends hommage à mes compagnons de l'Armée de libération nationale qui sont morts après l'Indépendance de l'Algérie. Le colonel Ali Azri, le commandant Docteur Si Saïd Hermouche Arezki, le professeur Rahmouni El-Djillali dit Si Djeloul, le commandant Si Youcef Boulekhrouf, si Boudiaf Abdelhamid de M'sila, Si Hamdane Semiane de Cherchell et tant d'autres. Ainsi, je participe, à travers mon témoignage et mes récits des luttes de notre peuple pendant la Révolution du 1er Novembre 1954, à l'écriture de l'histoire, évoquant ainsi les sentiments qui ont animé le peuple algérien, à savoir l'amour de la patrie, l'abnégation et le sens du sacrifice. Aujourd'hui plus que jamais, je reste convaincu que l'enseignement, objectif de l'histoire de notre pays et du combat libérateur de notre peuple, contribuera à maintenir vivace la mémoire de nos martyrs qui ont donné leur vie pour que vive l'Algérie libre, indépendante, fraternelle et unie. Quant à moi, témoin vivant de la Révolution du 1er Novembre 1954, je n'ai fait que mon devoir et je rends hommage aux familles de nos chouhada et au peuple algérien.