Les équipes des services de pédopsychiatrie d'Alger, de Constantine et de Blida s'adressent à l'opinion publique pour dénoncer un fait grave qui a entaché l'opération du choix des postes de chef de service hospitalo-universitaires du 25 juin 2014. Ce fait porte atteinte à la crédibilité de la santé publique et à l'université algérienne. Il s'agit d'un maître de conférence A de psychiatrie d'adultes, qui n'a aucun lien avec la pédopsychiatrie, qui a fait le choix d'un service de pédopsychiatrie (psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent) qui fonctionne depuis plus de vingt ans et qui constitue une référence à l'échelle nationale. Lors d'une réunion avec les responsables des deux ministères de tutelle (Enseignement supérieur et Santé) et en présence du syndicat, la proposition que le choix des postes puisse se faire indistinctement entre pédopsychiatrie et psychiatrie a été retenue. Cette décision s'est faite au mépris de l'arrêté de création de la pédopsychiatrie comme discipline à part entière, distincte de la psychiatrie d'adultes, et des circulaires du 30 septembre 2013 et du 27 janvier 2014 qui organisent le concours. Cette dernière précise que les candidats au poste de chef de service doivent justifier de leur appartenance à la spécialité du poste auquel ils postulent. Devant la réaction de tous les professionnels de la pédopsychiatrie et les clarifications apportées, les autorités de tutelle avaient demandé au concerné de refaire son choix au niveau des 13 postes restants et qui correspondent à son profil de formation. Mais voilà que le Syndicat des enseignants hospitalo-universitaires interpelle le ministre de la Santé en déclarant obscures les raisons de la suspension de l'affectation du lauréat (communiqué n°03/14, signé par le président du Snechu). Le syndicat vient donc d'assumer en toute connaissance de cause la responsabilité de porter le projet d'un groupe de psychiatres d'adultes qui s'oppose à l'émancipation de la pédopsychiatrie. Ce n'est ni un manque d'information ni une méconnaissance. De quoi s'agit-il en réalité ? Le 21 mars 2013, des pédopsychiatres hospitalo-universitaires (Constantine-Alger-Blida-Annaba) ont remis un courrier au ministre de l'Enseignement supérieur pour lui dresser un état des lieux sur la situation en matière de santé mentale de l'enfant et de l'adolescent comme argumentaire à la création de la spécialité. Un document avec projet de cursus de résidanat a été joint à ce courrier. Dans le même temps, une autre option, celle de la psychiatrie infanto-juvénile comme surspécialité de la psychiatrie d'adultes a été défendue par d'autres collègues. Une réunion au ministère a été organisée par la Direction de la postgraduation qui a convié tous les chefs de service de psychiatrie. Après avoir écouté l'avis de tous, la création de la spécialité a été décidée. Des postes de résidanat ont été ouverts et des résidents ont été ainsi affectés au niveau de cinq services sur le territoire national. Un événement qui fait date et dont se réjouissent tous ceux qui ont à cœur la santé de notre population. Mais ce même groupe réfractaire à cette création a initié une pétition pour s'y opposer. Le concerné est l'un des signataires de cette pétition. En mai 2014, l'élection du comité pédagogique régional n'a pu se faire en raison de ces psychiatres d'adultes sans aucun lien avec le soin des enfants qui ont voulu imposer leur présence. Le ministère de l'Enseignement supérieur a consacré par l'arrêté n°444 du 18 juin 2013 la pédopsychiatrie comme une discipline universitaire à part entière. En cela, il a consacré un état de fait, à savoir l'existence de formateurs et de centres de formation capables d'accueillir des résidents. Les quatre centres de Blida, d'Alger, de Constantine sont effectivement capables d'accueillir des résidents et de leur prodiguer un enseignement en pédopsychiatrie. La première promotion est déjà sur le terrain depuis octobre 2013. Les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur ont donné le statut de service universitaire aux structures où exercent ces équipes. Ils ont ainsi suivi ce qui se faisait dans le monde et répondu aux recommandations de l'OMS (2005) de construire un système de santé mentale pour l'enfant et l'adolescent distinct de l'adulte, même s'ils pouvaient travailler de façon complémentaire. Les enseignants, qui exercent dans ces structures, le font depuis 10 à 20 ans (pour certains) de façon exclusive et ont reçu une formation académique en pédopsychiatrie sanctionnée par des attestations signées par des pédopsychiatres étrangers de notoriété internationale. Ils ont mis en place les services, formé les équipes, fourni des prestations et organisé des manifestations scientifiques. La pédopsychiatrie est une discipline extrêmement vaste et se développe en plusieurs sous-spécialités (psychiatrie du nouveau-né et du nourrisson, première et deuxième enfance, santé mentale de l'adolescent, les troubles du développement, psychiatrie médico-légale chez l'enfant, etc. C'est pour cela que l'institutionnalisation de la pédopsychiatrie comme discipline à part entière, et non comme une spécialisation de la psychiatrie adulte, est un mouvement universel qui date déjà de plusieurs décennies dans de nombreux pays, y compris ceux du Maghreb. En Algérie, la pédopsychiatrie était très longtemps ignorée et marginalisée. Elle était pratiquée contre vents et marées par une poignée de pédopsychiatres sans statut, ni budgets, ni pouvoir particulier, que confère la reconnaissance officielle. Mais depuis que la pédopsychiatrie a été reconnue comme spécialité et que les autorités de la santé et de l'enseignement s'engagent à la promouvoir et, par conséquent, à lui fournir les moyens (personnel, structures, budgets, formations), voilà que, tout à coup, certains se réveillent, découvrent la pédopsychiatrie et se proclament pédopsychiatres. Nous sommes ravis que tout le monde s'intéresse à la pédopsychiatrie, mais comme toute discipline, elle demande une formation et une pratique. Ceux qui veulent donc faire de la pédopsychiatrie ne seront jamais de trop devant l'ampleur des besoins. Il faudra tout simplement qu'ils aient une formation théorique et pratique dans la spécialité. Se former, apprendre d'abord, pour ensuite occuper la place d'enseignant et de responsable d'une équipe. Toute autre démarche serait irrationnelle et moralement inacceptable. Rappelons encore que ce que nous contestons, ce n'est pas le désir du maître de conférence A prétendant au poste de faire de la pédopsychiatrie, mais sa prétention à enseigner une discipline qu'il n'a pas apprise ! Comment va-t-il faire face à des assistants, psychologues, infirmiers et éducateurs qui en savent plus que lui ? Le syndicat est bien placé pour savoir que les métiers d'enseignant et de soignant sont fondés sur l'éthique. Ce sont quelques-uns des rares domaines où on ne peut pas facilement tricher. Il sait très bien qu'enseigner, ce n'est pas recopier des chapitres d'ouvrages pour en faire la lecture à des apprenants. C'est la transmission des connaissances actuelles confrontées à l'expérience que donnent des années de pratique qui transforment la connaissance théorique en connaissance utilisable. Cela n'est possible qu'avec un travail acharné dans la discipline enseignée. C'est encore beaucoup plus évident en pédopsychiatrie où le succès et l'échec d'une prise en charge ne peuvent être masqués par des prescriptions de médicaments. Le président du syndicat, qui compte en son sein des psychiatres, se devait de commencer par s'interroger sur l'authenticité des attestations produites par le concerné. Les pédopsychiatres ayant suffisamment d'expérience pour enseigner se comptent sur les doigts de la main en Algérie et tout le monde les connaît y compris les membres du syndicat, dont les psychiatres ! Ces pédopsychiatres formés et expérimentés, auxquels on conteste un titre qu'on attribue sans vergogne à quelqu'un qui a "0" année d'expérience en pédopsychiatrie, sont tout simplement prêts à remettre leur titre et leur poste au jugement d'un jury indépendant constitué de pédopsychiatres étrangers s'il le faut pour démasquer l'imposture. Le syndicat, qui compte en son sein des psychiatres, sait tout cela mais, tout simplement, a-t-il pris la responsabilité de défendre un groupe qui conçoit la pédopsychiatrie comme une position à "garder" ou à conquérir ? Il a pris la responsabilité de soutenir des ambitions personnelles au mépris de l'éthique, de la réglementation, de la qualité des soins et de l'enseignement. Toute corporation a une éthique. Celle des enseignants hospitalo-universitaires est une des plus exigeantes. Leur compétence et leur éthique constituent leur seul pouvoir. Ceux qui cherchent à détenir un pouvoir se trompent en le cherchant en médecine ou dans l'enseignement. Le seul pouvoir, dont disposent le médecin et l'enseignant, réside dans sa compétence, son éthique ou sa morale. On peut le détester ou lui en vouloir parce qu'il n'est pas manipulable et trop strict par rapport à l'éthique, mais quand il s'agit de confier son corps, sa santé, sa famille, ses enfants, tout le monde choisit, bien-sûr, celui qui s'affirme par sa compétence et son éthique ! La santé mentale des enfants et des adolescents dans notre pays n'est et ne peut être la chasse gardée de personne. Il n'y a pas et il n'y aura pas de mandarins. C'est une discipline qui se pratique avec beaucoup d'humilité en réseau dans la communauté avec de nombreux intervenants qui ont leur place. Elle appartient aux enfants de ce pays et nul n'est éternel ni indispensable même si la collaboration de tous est nécessaire. Nous nous adressons également à nos collègues psychiatres qui sont dans le syndicat et qui, par leur silence ou leurs actions, se sont retrouvés des soutiens de cette action. Eux connaissent très bien le concerné. Ils savent très bien s'il a fait ou non de la pédopsychiatrie. Ils portent une responsabilité plus grande que les autres membres du syndicat. Nous leur demandons de prendre conscience qu'il s'agit de la destruction d'un service et du blocage d'une spécialité. Il ne s'agit pas d'un problème de personne ! Ils doivent se placer du côté de l'éthique et de la vérité. Ils savent très bien qu'on ne peut ni pratiquer la pédopsychiatrie ni l'enseigner si on ne l'a pas apprise. Ces collègues portent une responsabilité plus grande que les autres membres du syndicat qui sont moins informés. Nous nous adressons également à tous les psychiatres de notre pays et aux futurs psychiatres et pédopsychiatres en leur disant que cette affaire portera atteinte à la crédibilité de leur métier et donc à la leur. Vous rencontrez tous les jours des enfants dans votre pratique. Vous savez combien il est nécessaire d'avoir une formation adaptée et une longue expérience pour prendre en charge des enfants. Vous savez également combien la pratique en pédopsychiatrie est différente de la pratique en psychiatrie adulte. Nous vous appelons à réagir et dénoncer une telle forfaiture. La responsabilité de soigner et d'enseigner doit se mériter uniquement par l'apprentissage, et rien d'autre. C'est le seul gage pour que votre métier soit respecté ! Nous appelons les parents des enfants malades à ne pas accepter qu'une structure, qui fonctionne depuis vingt ans au service des enfants et qui a acquis une expérience considérable dans les soins et la formation, en particulier dans le domaine de l'autisme, soit livrée à une personne sans compétence en la matière. Enfin, nous nous adressons aux autorités de tutelle, à savoir le ministre de la Santé et celui de l'Enseignement supérieur, pour leur dire que la qualité des soins et de l'enseignement relève de leur responsabilité. Il leur revient de protéger les structures de soin et d'enseignement qui prodiguent des services de qualité et d'aider les autres à se mettre à niveau. Nous les appelons à saisir les véritables enjeux, à savoir empêcher qu'un domaine de la santé et de l'enseignement se constitue de façon autonome, prenne de l'ampleur et échappe à l'autorité de ceux qui veulent se proclamer comme tuteurs avec droit de contrôle de tout ce qui existe dans notre domaine. Que valent ces ambitions personnelles devant la santé mentale de nos enfants et devant la qualité de l'enseignement dispensé à nos résidents ? Cette décision d'ouvrir les postes de pédopsychiatrie à des psychiatres d'adultes, prise au niveau d'une commission qui ne comprend aucun pédopsychiatre au mépris des textes réglementaires déjà cités, crée une situation d'exception pour la pédopsychiatrie. Accepteriez-vous qu'un interniste dirige un service universitaire de pédiatrie ? Les deux tutelles ne peuvent ignorer la gravité des conséquences de cette décision. Ce sera tout simplement un coup au développement d'une discipline qui vient de naître. Une discipline qui est chargée de répondre aux problèmes de santé mentale spécifiques, complexes et immenses des populations infanto-juvéniles et des familles. Cela est vital pour notre pays En ce qui nous concerne, nous renouvelons notre engagement aujourd'hui en refusant de toutes nos forces le démantèlement de ce qui a été mis en place, à savoir la naissance de cette spécialité, la pédopsychiatrie. Par : LE PR IDRISS TERRANTI ET LE PR NASSIMA METAHRI