Sa requête adressée au juge mercredi, jour de la visite du président de la République à Djelfa, grâce aux conseils d'un officier de la prison, a obtenu satisfaction dans la journée. Après l'avoir conduit derrière les barreaux, l'instrumentalisation de la justice a rendu à Hafnaoui Benameur Ghoul sa liberté. Son retour mercredi dernier parmi les siens à Djelfa, notamment auprès de son père qui n'a cessé d'appeler à la clémence du président de la république, tient dans un coup de baguette magique. En habile prestidigitateur, Abdelaziz Bouteflika a donné vie aux outils du droit, endormis dans les tiroirs des juges depuis des mois pour mettre fin à l'incarcération du journaliste et défenseur des droits de l'Homme. Hafnaoui lui-même a peine à croire au miracle. Joint hier par téléphone, il se dit encore surpris par sa délivrance. Tout s'est déroulé si vite comme il ne l'avait jamais imaginé. Pour cela, il a suffi que le chef de l'Etat donne son aval pour que la machine se mette en marche, de manière très rocambolesque. Récit du concerné. Mardi 23 novembre, Hafnaoui Ghoul en détention à la prison de Ouargla — où il a été jugé dans l'affaire du mouvement des citoyens du sud —, apprend qu'il sera transféré, dans la journée, au pénitencier de sa ville natale. Sa peine n'étant pas purgée, le déplacement dont il va faire l'objet semble inexpliqué. Le lendemain matin, il se réveille donc à la prison de Djelfa. Ce jour-là, la wilaya doit accueillir un hôte de marque en la personne du président de la république qui se rend dans la localité de Hassi-Bahbah en compagnie du président d'Interpol, afin de superviser la destruction d'un lot de mines antipersonnel. Au même moment (vers 11 heures), dans sa cellule, Hafnaoui reçoit la visite d'un officier de la prison. Celui-ci lui recommande de rédiger, sur place, une demande de liberté provisoire. Jamais auparavant, il n'avait bénéficié d'une telle sollicitude. L'officier se charge de la transmission de la missive. De son côté, ne se faisant guère d'illusions, le journaliste replonge dans son désœuvrement. La journée passe quand, à 16 h30 exactement, le détenu reçoit une seconde visite au cours de laquelle il apprend qu'il est libre et peut désormais rentrer chez lui. “Personne n'était au courant, pas même mes avocats. Ils n'ont d'ailleurs rien compris”, relate-t-il encore sous le coup de l'émotion. Propagée comme une traînée de poudre, la nouvelle de sa libération fait le tour de la ville. Le clan Ghoul se précipite à sa rencontre. Le vieux père perspicace s'empresse de remercier le président de la république. Il sait que la décision de libération vient de lui. “Elle a coïncidé avec la visite de Bouteflika”, explique le fils. Soulagement, exaltation… les qualificatifs ne lui manquent pas pour décrire son état. Cela fait six mois que Hafnaoui n'a pas pris dans ses bras ses trois enfants. Incarcéré en date du 24 mai dernier suite à l'émission d'un mandat de dépôt par le juge d'instruction près la cour de Djelfa, il a comparu plusieurs fois devant le tribunal. En sa qualité de correspondant de presse et de président du bureau local de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh), il est accusé de diffamation de l'administration locale. Ses rapports et ses articles comportent, en effet, de nombreuses accusations de dilapidation de deniers publics, de détournements, gabegie… Ses réquisitoires impliquent le premier magistrat de la wilaya, Mohamed Addou El-Kebir, actuel wali d'Alger. Soutenu par l'ensemble de l'exécutif de wilaya, ce dernier attaque Hafnaoui Ghoul en justice. 53 plaintes sont déposées contre lui. 28 affaires en découlent. L'une d'elles lui vaut 11 mois de prison ferme. Les amendes résultant des différents procès s'élèvent, quant à elles, à un milliard de centimes. L'acharnement de l'appareil judiciaire local doublé de l'indifférence des pouvoirs centraux fait réagir l'opinion. En vain. Au moindre faux pas, dont une lettre écrite à sa fille à partir de la prison, le journaliste est accablé davantage. Compte tenu de ce harcèlement, rien ne laissait présager sa remise en liberté, sauf un geste très inattendu du président. Aujourd'hui, en dépit de cette mansuétude, Hafnaoui n'entend pas abandonner ses idéaux. “Je ne renoncerai jamais aux principes pour lesquels je suis rentré en prison”, promet-il. S. L.