Résumé : L'entretien dure deux bonnes heures. Wassila et Lyès se découvrent des affinités. Ce dernier brûle les étapes et demande sa main. Elle est un peu brusquée par sa proposition hâtive, et lui demande un temps de réflexion... Lyès lui accorde une semaine... Pas plus... Il avait déjà trop attendu dans sa vie. Avant de le quitter, Wassila lui demande si sa mère n'était pas trop sévère. Il rit encore : -Ma mère n'est pas une sainte. Mais elle n'a pas mauvais cœur... Elle est un peu possessive avec moi, parce que je suis le seul qui vit encore avec elle... Elle a peur de me perdre, et me fait promettre à chaque occasion de ne jamais la quitter, ni l'abandonner au dernier tournant de sa vie. Emue, Wassila sentit les larmes lui picoter les yeux : -Pauvre femme... Elle a dû souffrir pour vous élever seule... Il est tout à fait normal pour elle de craindre de se retrouver l'oubliée de tous, alors qu'elle avait sacrifié sa jeunesse et sa vie pour vous permettre de vivre dignement... Il hoche la tête : -Oui... ma mère a beaucoup souffert... Elle souffrira encore plus de notre ingratitude si nous ne faisons rien pour égayer ses vieux jours. -Tout à fait... Vous pourriez en moins la rendre heureuse pour les jours qui lui restent dans ce monde... -C'est pour cela que je n'aimerais pas la quitter... Je suis peut-être le seul de ses enfants qui pense réellement à son bonheur.Wassila ouvrit la porte et se glissa à l'extérieur du véhicule avant de lancer : -Je suis un peu confuse... Mais j'aimerais bien connaître le prénom de ta sœur. Feriel m'avait parlé d'une ancienne abonnée, mais elle n'avait pas voulu m'en dire plus avant notre rencontre. -Latifa... Mme Latifa F... -Latifa... ? La rousse... ? Il hoche la tête : -Oui... Nous ne nous ressemblons pas du tout... Elle tient sa rousseur de mon père... Ma mère est plutôt brune... Wassila se met à rire : -Je n'aurais jamais cru que Latifa était ta sœur... -Elle l'est pourtant... Heu... Pas un mot de moi jusqu'à nouvel ordre s'il te plaît... -Je comprends... Moi non plus je n'aimerais pas parler de notre entretien... Hormis Feriel, personne ne devrait savoir que nous nous sommes rencontrés. -Très bien... Merci Wassila... C'était un plaisir ce premier rendez-vous... Elle acquiesce : Je crois que nous nous sommes confiés comme de vieux amis... -Pour une rencontre initiale, on ne pouvait faire mieux... Je sens que nous allons bien nous entendre. Elle ébauche un sourire : -Je l'espère Lyès... Au revoir. Taos marchait d'un pas hésitant. Khadidja la précédait de quelques mètres. Elles avaient pris un taxi qui les avait déposées un peu à l'écart de la ville, non loin du quartier où résidait la fameuse voyante dont elle lui avait parlé. Maintenant que les dés sont jetés, Taos regrettait un peu d'avoir écouté cette voisine curieuse et qui bavarde à souhait. Les voyantes, elle en connaissait un bout... ! Elles sont toutes pareilles et promettent monts et merveilles à tous ceux qui viennent les consulter. Combien d'entre elles n'avait-elle pas déjà consultées... ? Une fois, elle s'était déplacée jusqu'à Oran, où on lui avait vanté les mérites d'une chouaffa extraordinaire, puis une autre fois à Sétif où on l'avait orientée vers une aâraffa qui réalisait des miracles, et ensuite en Kabylie et ensuite... Elle ne s'en rappelait plus... La liste était bien longue. Qu'avait-elle gagné en conséquence ? Des dépenses faramineuses et des voyages exténuants... Aucune de ces voyantes égocentriques n'avaient pu réaliser ses vœux ou du moins ramener un peu de bonheur dans la vie de Wassila... Rien... Même pas un petit prétendant, qui même s'il ne l'avait pas épousé aurait réussi à démontrer à Taos que les promesses de ces femmes ne sont pas toujours fausses. La vieille femme transpirait à grosses gouttes et interpellait Khadidja. Cette dernière marchait vite et la distançait chaque fois qu'elle ralentissait. Taos s'arrêta et tira un mouchoir de son corset, pour s'essuyer le visage et le cou. Elle suffoquait sous un soleil de plomb, et ce quartier mal famé ne lui inspirait pas confiance. Des mendiants sales et répugnants s'accrochaient à son voile, et des chiens errants et galeux tournaient autour des passants. Taos esquiva l'un d'eux de justesse avant de rappeler Khadidja : -Hé... Hé... Attends donc... Je n'ai pas tes jambes, moi... Khadidja se retourne : -Nous sommes presque arrivées... C'est la maison là-bas, au premier détour... Tu vois le toit rouge... C'est là... Dépêche-toi Taos, sinon, nous allons devoir attendre de longues heures avant de passer. (À suivre) Y. H.