Dans cet entretien, l'ancien ministre et ambassadeur explique les motivations du sommet de Nouakchott et prévient que les puissances internationales risquent d'imposer leur solution si les efforts régionaux n'aboutissent pas. Liberté : Le Tchad, le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso ont lancé le 19 décembre dernier, lors du sommet de Nouakchott, un appel aux Nations unies pour la mise en place d'une force d'intervention internationale en Libye. L'Algérie a répondu par un niet en réaffirmant la nécessité d'un règlement politique de la crise. Pensez-vous que la crise libyenne est en train d'évoluer vers une solution militaire ? Abdelaziz Rahabi : En effet, c'est un développement inattendu dans la région, notamment de la part de la Mauritanie et du Burkina qui n'ont pas de frontières communes avec la Libye, à moins qu'ils agissent dans le cadre d'un mandat d'une puissance tierce. On comprend mieux l'attitude d'Etats comme le Tchad et le Niger qui partagent avec la Libye des frontières et des populations touareg et touboues et qui ne disposent pas d'armées en mesure de se défendre contre des milices libyennes suréquipées. Le recours aux Nations unies devient alors le moindre mal pour ces deux pays. Alger pèse de tout son poids pour faire valoir la primauté d'une solution diplomatique, surtout que les parties libyennes n'arrivent pas à s'entendre et que l'insécurité règne dans le pays et menace le voisinage dont principalement l'Algérie. Quelle marge de manœuvre possède encore l'Algérie pour faire passer ses arguments ? Notre pays ne part pas avantagé dans le dossier libyen et sa démarche n'est pas servie par les derniers développements. Nous sommes disqualifiés par notre soutien officiel déclaré à Kadhafi, ce qui fragilise tout effort de médiation, car celle-ci n'est possible que si vous avez les meilleures relations avec les principaux acteurs sur la scène libyenne. Ce qui n'est pas le cas. Par ailleurs, les autres voisins de la Libye ont d'autres agendas : l'Egypte fait tout pour que les islamistes ne prennent pas le pouvoir et le Soudan fait tout le contraire. Le risque dans cet imbroglio libyen est de voir les puissances internationales imposer une solution parce que les différents efforts régionaux n'auront pas abouti. La réunion de Nouakchott semble s'inscrire dans cette démarche car il n'y a pas de hasard dans les relations internationales. Dans cette situation complexe, quelle solution préconisez-vous pour éviter que l'instabilité en Libye dégénère et que ce pays se transforme en sanctuaire du terrorisme international ? Notre intérêt réside dans une Libye stable et un régime accepté par la majorité des Libyens. Ce qui ne sera pas aisé car Kadhafi avait gouverné le pays avec un mélange de terreur, de tribalisme et de redistribution de la rente pétrolière, ce qui n'a pas favorisé l'émergence de classes moyennes, d'élites politiques et économiques et, par conséquent, la formation de conscience politique. C'est un peu l'anti-modèle tunisien. Dans cette conjoncture et considérant que nous partageons près de 1 000 kilomètres de frontière avec la Libye dont les milices sont mieux équipées que les armées de la Cédéao, nous devons participer à tout effort de stabilisation de la Libye, établir des liens avec tous ceux comptent en Libye et ne pas compter exclusivement sur notre offre de médiation. Nous devrions, enfin, continuer à poser la question de la responsabilité des grandes puissances et de l'ONU dans la crise libyenne et de leur faible engagement aujourd'hui dans la recherche d'une solution, et rappeler chaque fois que la paix internationale et la lutte contre le terrorisme international relèvent aussi de la responsabilité de la communauté internationale, pas seulement de celle des Etats voisins.