De nouvelles rencontres diplomatiques, d'organisations régionales et internationales, ont eu lieu ces deux dernières semaines pour discuter du cas libyen et du risque des débordements du conflit sur les pays voisins. Encore une fois, les avis ont divergé. L'analyse de la situation en Libye et l'évaluation des rapports de forces entre les parties en conflits, dans ce pays voisin, laisse en effet place à un véritable cafouillage au niveau diplomatique. Alors que certains pays continuent de défendre l'option du dialogue politique à Tripoli, d'autres voix s'élèvent et maintiennent leur choix d'une intervention militaire internationale, sous l'égide de l'ONU, que ce soit au sein de la classe politique libyenne ou au niveau régional et international. Le sommet régional de Nouakchott, en Mauritanie, a démontré à quel point le cas libyen est plus que complexe. Réunis dans la capitale mauritanienne, dans le cadre du Processus de Nouakchott qui a été lancé en 2013, onze pays de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel (Algérie, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Tchad), ont tous souligné la nécessité de stabiliser la Libye pour éviter un embrasement général de la région. Car le nombre impressionnant d'armes libyennes en circulation a donné lieu, entre autres, à la prolifération des groupes armés terroristes et des contrebandiers. «L'UA, le Processus de Nouakchott, tout le monde va se mobiliser pour offrir l'aide nécessaire aux frères en Libye», a déclaré le commissaire de l'UA (Union africaine) à la paix et à la sécurité, Smaïl Chergui. «Nous allons devoir faire face à tous les défis sécuritaires très graves qui émanent de ce pays», a ajouté le diplomate algérien qui a succédé à notre actuel ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, à la tête de cette importante institution de l'UA. Avis divergents Lors de ce sommet qui s'est déroulé jeudi dernier, le constat de tous les participants était le même, mais la solution à apporter n'a pas mis d'accord tout le monde. Le jour même de cette rencontre le groupe des 5 pays du Sahel (Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad) a annoncé la tenue de son sommet pour le lendemain. Leur résolution était allée à contresens de la démarche des pays voisins de la Libye de l'Afrique du Nord (Algérie, Tunisie et Egypte) qui militent pour une solution diplomatique du drame libyen. Le G5 a estimé que seule la mise en place d'une force militaire internationale est en mesure d'éradiquer les violences à Tripoli. Créé en février dernier, «le Groupe des Cinq du Sahel salut les tentatives des voisins de la Libye et de l'ONU pour réunir les conditions d'un dialogue entre toutes les parties libyennes à l'exception des groupes terroristes reconnus comme tels. Néanmoins, le G5 Sahel lance un appel au Conseil de sécurité des Nations unies pour la mise en place, en accord avec l'Union africaine (UA), d'une force internationale pour neutraliser les groupes armés, aider à la réconciliation nationale et mettre en place des institutions démocratiques stables en Libye», lit-on dans le communiqué final du sommet, repris par les agences de presse. Le Parlement libyen a opté lui aussi en septembre pour une intervention militaire étrangère. L'Assemblée libyenne qui siège à Tobrouk, au lieu de Tripoli où la milice islamiste Fajr Libya a mis en place un gouvernement parallèle, a voté une résolution appelant l'ONU à autoriser une intervention militaire internationale pour mettre fin à l'anarchie qui règne en Libye depuis la révolution du 17 février 2011. Le diplomate espagnol Bernardino Léon, envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU en Libye, semble lui aussi désespéré après avoir vainement tenté de convaincre les différents acteurs libyens à déposer les armes et à se retrouver autour d'une même table. M. Léon a estimé lundi dernier au Luxembourg qu'il est «nécessaire d'agir immédiatement» en Libye pour empêcher un chaos total, lors de sa rencontre avec les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. Ce n'est pas l'avis du président de l'International Crisis Group (ICG), Jean-Marie Guéhenno, qui a soutenu la position algérienne lors de son passage à Alger dimanche. «Nous sommes convaincus de l'importance d'une solution politique pour préserver l'intégrité territoriale de la Libye», a déclaré M. Guéhenno, à l'issue de son entretien avec le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel. Force est toutefois de constater qu'aucune de ces deux solutions (politique et militaire) n'est envisageable pour le moment pour moult raisons. Au niveau militaire, le débat sur une intervention étrangère en Libye fait à chaque fois raviver le mauvais souvenir de l'ingérence de l'Alliance atlantique en 2011 pour chasser l'ancien régime de Mouammar Kadhafi, et qui constitue une des raisons ayant causé le chaos actuel. Au niveau politique, l'entêtement des principaux acteurs impliqués dans la guerre civile à poursuivre leurs affrontements armés, rend vaine toute tentative de médiation internationale pour un dialogue inter-libyen. Le jeu des alliances Longtemps décriée par une majorité de la classe politique libyenne, l'opération «Al-Karama (la dignité)» de l'ancien général dissident Khelifa Haftar a fini par recevoir en octobre l'entier soutien de l'armée gouvernementale et du Parlement. Al-Karama a été lancée dès mai dernier à Benghazi pour repousser les attaques, de plus en plus intenses, du mouvement terroriste islamiste Ansar al-Charia. Allié à d'autres groupuscules islamistes radicaux, Ansar al-Charia a fait allégeance à Al-Qaïda. Contrairement à Haftar qui a reçu le soutien du gouvernement d'Al-Theni et du Parlement, les islamistes demeurent divisés. Dans l'est libyen, Ansar al-charia fait quasiment cavalier seul après avoir vainement essayé de rallier à sa cause Fajr Libya qui contrôle la capitale Tripoli depuis fin août, après avoir mené, durant deux mois, une vaste offensive contre la milice laïque Zenten. Fajr libya (Aube de la Libye) est originaire de la ville de Misrata. Dès la prise de Tripoli, les leaders de ce mouvement ont annoncé la remise en marche du défunt Conseil général national (CGN) qui a été créé au lendemain de la mort de l'ex-colonel et guide Kadhafi. Juste après, le CGN a procédé à la mise en place d'un gouvernement parallèle autoproclamé, finissant ainsi par limiter toute chance d'une solution politique négociée pour la fin du conflit. Tout en refusant l'alliance proposée par Ansar al-Charia, Fajr Libya refuse également toute ouverture des négociations de paix avec le gouvernement d'Al-Theni et rejette toute légitimation du Parlement siégeant à Tobrouk. Affirmant être la seule entité politique et militaire à rester fidèle aux idéaux de «la révolution du 17 février», Fajr Libya reste aussi sourd aux appels de la communauté internationale. Ainsi, avec le soutien de l'armée et du gouvernement d'Abdallah al-Theni à Haftar, la guerre en Libye a pris une nouvelle tournure. Encore plus violente et plus désastreuse pour la Libye. Hier, l'ancien général dissident a affirmé que la bataille de Benghazi s'achèverait bientôt. Il a également annoncé son intention d'aller jusqu'au bout de sa lutte armée, déniant toute légitimité aux groupes armés tribaux qui refusent de soutenir le Parlement élu et le gouvernement qu'il a désigné. Sa détermination et l'entêtement de Fajr Libya laisse transparaître le début d'une nouvelle ère dans la guerre civile libyenne qui nous éloigne de toute perspective d'un règlement pacifique de cette crise. L. M.