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"Le coût de fonctionnement administratif de l'état est extrêmement élevé" Mohamed-Cherif Belmihoub, professeur de management et de développement institutionnel, à "Liberté"
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Mohamed-Cherif Belmihoub explique que la structure des dépenses de l'état n'a pas changé et que la tendance à l'augmentation a été maintenue. Le gouvernement a une marge de manœuvre extrêmement réduite pour agir sur les dépenses, pour l'essentiel incompressibles, ajoute-t-il. Liberté : Quel est votre point de vue sur le train de vie de l'Etat algérien ? Mohamed-Cherif Belmihoub : D'abord il faut savoir que le budget de l'Etat 2015 a été élaboré sur la base de 37 $ pour les recettes de la fiscalité pétrolière. Avec ce prix, les ressources totales (fiscalité ordinaire et fiscalité pétrolière) ne couvrent qu'un peu plus de 50% des dépenses prévisionnelles du budget (fonctionnement et équipement). Adopter un budget avec un déficit de près de 50% renseigne sur l'état de dégradation des finances publiques, même si le financement de ce déficit sera couvert par le Fonds de régulation des recettes. Le financement du budget 2015 par les recettes de l'exercice, sans recours au FRR, correspond à un prix du baril à 112 $ (avec le niveau de production actuel). Avec ce déficit, le FRR a fondu, et au prix actuel du pétrole, il ne risque pas d'être alimenté en 2015 ; ce qui va créer une situation d'extrême tension pour les prochaines années. La baisse de la production des hydrocarbures et celle des prix amorcée à la fin de l'été n'ont pas incité les pouvoirs publics à revoir le niveau des dépenses budgétaires. La structure des dépenses n'a pas changé et la tendance à l'augmentation a été maintenue (près de 10% par rapport à 2014). Le train de vie de l'Etat a donc été maintenu à son niveau habituel. Le chapitre "charges communes" (plus de 12% du budget de l'Etat) renseigne mieux sur le train de vie de l'Etat (charges de fonctionnement des institutions autres que les administrations sectorielles et les services publics), car lui aussi a connu une augmentation en 2015. En un mot, le coût de fonctionnement administratif de l'Etat est extrêmement élevé avec une efficacité non satisfaisante. Comment expliquez-vous l'absence de mesures de réduction du train de vie de l'Etat dans le plan d'austérité du gouvernement ? Le coût de fonctionnement administratif est non seulement élevé mais très rigide, et il est difficile d'agir sur les principaux postes de dépenses. Au cours des dernières années, au lieu de faire dans la modernisation de l'administration, on a fait dans l'extension des organigrammes et la multiplication des organes administratifs. Nous avons assisté depuis une dizaine d'années à une frénésie des changements d'organigrammes qui a conduit à une prolifération des Directions générales dans les administrations centrales, souvent sans justification solide, et la multiplication des niveaux inférieurs alors que certains ministères, eux-mêmes, n'ont pas leur raison d'être. Un organigramme est d'abord une dépense et dont une part importante est incompressible, et donc reproductible d'année en année. Les salaires et charges annexes représentent plus 65% du budget de fonctionnement (plus de 85% dans certains secteurs comme l'éducation, l'ESRS, la santé...). Les charges de fonctionnement de l'administration publique et les charges communes sont très rigides et ne peuvent donc subir de façon significative une coupe budgétaire ; c'est pourquoi le gouvernement ne peut intervenir sur ces dépenses à court terme, sauf à remettre en cause les bases de la stabilité sociale. On peut agir sur une partie des dépenses, celles des institutions budgétivores (autres que l'administration et les établissements publics en rapport directs avec le service public) qui bénéficient de grandes largesses dans l'allocation budgétaire (Assemblées et autres conseils et institutions dits indépendants). Voilà ce qui explique que le gouvernement a une marge de manœuvre extrêmement réduite pour agir sur les dépenses, pour l'essentiel incompressibles. Que préconisez-vous pour réduire le train de vie de l'état ? A court terme, des économies peuvent être recherchées dans le seul chapitre "charges communes" (budget des institutions sans prise directe avec les citoyens et les services publics). Dans les autres charges, essentiellement des salaires et charges annexes, il est quasi impossible d'opérer des économies ou très peu en limitant les gaspillages sur les fournitures (15% du budget de fonctionnement). Ce sont donc les dépenses des institutions non directement concernées par la fourniture des services publics qui doivent être ramenées à des normes budgétaires strictes en agissant sur les dépenses de représentation et/ou de prestige. A moyen terme (à partir de 2016), il sera possible d'agir sur trois segments : - Commencer par réformer et moderniser le système budgétaire (entamé au milieu des années 2000 et stoppé par la suite) pour le rendre plus lisible, plus efficace et plus visible afin de bâtir la dépense publique sur des indicateurs et paramètres solides et non sur des données historiques majorées chaque année. La réforme du système budgétaire limitera la gabegie des institutions et établissements publics sans impacts réels sur la société et l'économie. Il est la condition de l'émergence d'une gouvernance publique. - Engager une véritable réforme de l'Etat pour rationaliser les structures et les dépenses de fonctionnement : réduction du nombre de ministères par fusion et suppression et passer des structures hiérarchiques et extensives à des structures objet-projets-missions. Une structure gouvernementale autour de 18-20 ministères et quelques secrétariats d'Etat ou ministères délégués serait plus indiquée pour une meilleure coordination de l'action publique et particulièrement les politiques publiques. Cette rationalisation doit toucher toutes les institutions, y compris le nombre de députés et de sénateurs et autres membres de certains conseils dont l'impact sur la vie de l'Etat est marginal. - Mettre en place un mécanisme d'évaluation des politiques. Aujourd'hui les politiques publiques sont mises en œuvre sans prévoir un mécanisme pour leur évaluation, et ainsi elles son reconduites d'année en année (budgets) même si elles n'ont aucun impact sur le citoyen ou le développement économique et social (l'année 2015 est déclarée par l'ONU, l'année de l'évaluation). S. S.