Les fragments de carrelage relevés ici et là étayent une complication d'ordre technique que nos carreleurs ne maîtrisent pas. L'entretien des trottoirs et le nivelage du bon vieux pavé, comme il n'en existe plus d'ailleurs, exigeait avant tout le capital expérience d'un savoir-faire qui reste hors de portée du premier maçon venu. Et ça, les élus municipaux l'ont appris à leurs dépens en ordonnant une réfection d'accotements qui n'étaient pas aussi mal en point que ça. Le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien ? Il est malaisé d'augurer d'un heureux aboutissement aux éternels chantiers portant sur la réfection des trottoirs d'Alger. Loin de nous l'idée de jouer au rabat-joie, mais force est de convenir qu'il n'y a nulle lueur d'espoir ni le moindre halo de lumière pour nous aider à trouver notre chemin dans ce labyrinthe qui nous rappelle au souvenir de la lecture mythologique des dédales du roi Minos. En effet, si en d'autres contrées les trottoirs sont encombrés, chez-nous, et plus particulièrement à l'avenue Larbi-Ben M'hidi (ex-d'Isly), le piéton opte de préférence pour la chaussée plutôt que de se risquer à se fouler la cheville sur des trottoirs démontés. Ce qui a fait dire à l'inégalable humoriste Hamid Achouri : "D'ici peu, et à mesure que l'on partage la chaussée avec les automobilistes, il sera exigé au piéton d'avoir une carte grise au lieu d'une carte nationale d'identité". C'en est ainsi des réfections à l'emporte-pièce de bordures de routes, qui se suivent et se ressemblent, depuis qu'il a été décidé en l'an 1982 d'embellir les trottoirs de la ville pour qu'Alger puisse s'étinceler de mille feux à l'occasion de la commémoration de l'an 20 du recouvrement de la souveraineté nationale. Mais, mal en prit au beylik de l'époque qui venait d'ouvrir la boîte de Pandore d'où a basculé en roue libre le tonneau des Danaïdes. En ce temps-là, d'aucuns vous diront qu'Alger aurait pu faire l'économie d'une mise en valeur de ses bas-côtés étant donné la solidité des trottoirs d'alors. Mieux encore, le beylik aurait dû y réfléchir à deux fois avant de donner le la au premier coup de pioche aux environs de la place Addis-Abeba et de faire de l'avenue Larbi-Ben M'hidi et la rue Ferhat-Boussad (ex-Meissonnier) des voies piétonnières qui n'ont guère profité au contribuable. Et c'est ainsi qu'il y eut un contingent d'opérateurs publics et privés qui se mêlèrent la truelle et les fils lors des travaux opérés dans la maintenance des accessoires en sous-sols. L'exemple aidant, un trottoir récemment remis à neuf est aussitôt assailli par "le marteau piqueur" en dépit d'une somme d'objections des membres des défunts Covil (Comités des villes) et de comités de quartiers. De la sorte, et au bout d'un bilan peu enviable, le contribuable n'en compte plus la pile de mètres carrés de dalles qui a jonché pour si peu de temps tant de mètres linéaires de trottoirs ni qu'il en évalue la quantité d'asphalte qui a recouvert d'une façon éphémère nos routes durant les exercices écoulés. Peu à peu, Alger s'est métamorphosée en une Tseriel (ogresse) budgétivore. En ce sens, les dépenses pour l'aménagement des allées de bled Sidi-Abderrahmane ont pris l'aspect d'un tonneau des Danaïdes, tellement la similitude est évidente puisqu'Alger n'a pas fini d'ingurgiter des enveloppes pécuniaires à l'épaisseur éléphantesque. En conclusion, cela s'en ressent sur les ressources du Trésor public et sur le confort des citoyens qui n'en peuvent plus des chutes et des foulures de chevilles, entre autres sur l'avenue Ali-Khodja d'El-Biar et tant d'autres quartiers d'Alger qu'il serait superflu de citer. Pour conclure, les fragments de carrelage relevés ici et là étayent une complication d'ordre technique que nos carreleurs ne maîtrisent pas. D'où la conclusion, qu'on a de la peine à croire qu'ils sont vraiment détenteurs de la carte de qualification délivrée seulement aux orfèvres en la matière par le Centre national de l'animation et de contrôle (Cnat) et qui est exigée lors de la séance de l'ouverture des soumissions en vue d'obtenir des marchés. Dans ce cas-là, la clause portant sur la garantie de la bonne exécution des tâches est également primordiale, quitte à intégrer également la responsabilité décennale ! Ce n'est qu'à ces conditions que nos trottoirs cesseront d'être l'eldorado des bricoleurs. L.N.