L'Etat est dans l'incapacité de récupérer l'argent transféré illégalement en raison de l'absence de conventions financières ou douanières avec les pays à risques. Pourquoi autant d'argent sale circulant en toute impunité, pourquoi autant de fuites illégales de devises vers l'étranger ? Pour bien comprendre, il convient de se remémorer l'affaire BDL de Tébessa qui a vu le transfert de centaines de millions de dollars vers l'étranger pour des importations fictives ou selon l'expression populaire "Hwa wa rih". A-t-on aujourd'hui comblé les failles qui ont permis une telle fuite de capitaux. À écouter des spécialistes et des banquiers, la situation n'a pas varié d'un iota. Le transfert illicite de devises a pris de l'ampleur. Une source bancaire rapporte que la fuite des capitaux a atteint en 2014, 1 milliard d'euros via le canal principalement des importations fictives. On simule une importation. On transfère les devises vers des comptes à l'étranger. Dans les conteneurs, on retrouve des quantités de chaussures trouées ou de pierres. Et quand on essaie d'identifier les importateurs qui sont à l'origine de ce trafic, point de traces. Registre du commerce fictif, prêtes-noms, fausses domiciliations bancaires. L'alerte de la Banque d'Algérie, en réaction à ce phénomène qui prend de l'ampleur n'est pas à la hauteur de la gravité de cette saignée de l'économie nationale. Pour preuve, la dernière note de la Banque d'Algérie dont Liberté détient une copie invite les banques commerciales à un maximum de vigilance à l'endroit des paradis fiscaux, les pays à risques ou les pays qui abritent les sociétés écrans. "Ce texte paradoxalement ne publie pas la liste de ces paradis fiscaux et de ces pays à risques", souligne Mohamed Kessel, expert bancaire. Il nous cite Hong Kong et Dubaï comme paradis fiscaux privilégiés dans ces fuites massives de devises vers l'étranger. Parallèlement, le spécialiste soutient que les banques correspondantes (à l'étranger) qui ont permis l'envoi de documents par le canal bancaire qui ont favorisé ces opérations frauduleuses n'ont pas été black listées (liste noire) par la Banque d'Algérie. Il se demande pourquoi la Banque d'Algérie n'a pas suspendu les importateurs qui ont payé leurs marchandises sans dédouaner dans les délais réglementaires (dossiers non apurés). Pas également de liste des importateurs frauduleux communiqués aux banques commerciales. Cette situation confuse crée beaucoup de suspicion, un écran de fumée qui facilite ces importations fictives. Pas de liste noire des paradis fiscaux, pas de liste noire des importateurs frauduleux En somme, ce sont les brèches dans les dispositifs réglementaires qui ont encouragé cers importateurs à effectuer ces opérations frauduleuses. L'un des moyens les plus utilisés pour transférer illicitement des devises à l'étranger est la surfacturation. Elle peut prendre plusieurs formes. Cas numéro 1 : les importations fictives précitées. Ce qui encourage ces opérations frauduleuses, c'est l'absence d'échanges d'informations instantanées entre la Banque d'Algérie, les banques commerciales, les Douanes, les imports et les services du registre du commerce. Second cas : dans les projets d'infrastructures, la société réalisatrice importe du matériel acheté dans son pays d'origine au rabais et revendu en Algérie à plusieurs fois son prix. La différence va à la tchipa et à la société de réalisation. Une importation illégale de matériel. Car dans ce genre de projet, la loi oblige l'entreprise étrangère à faire entrer son matériel en admission temporaire. Et dès le projet terminé, évacuer le matériel de chantier vers son pays d'origine. Cas numéro 3 : Mohamed Kessel nous cite l'exemple de sociétés à capitaux étrangers spécialisées dans la distribution qui n'ont pas droit au transfert de dividendes. En clair, supposons que le produit en question est vendable en Europe à 1 000 euros. À l'exportation vers l'Algérie, cette société le facture à 1 500 euros, sur la base non pas du taux officiel mais du marché noir de la devise en Algérie. Elle a réalisé ainsi des marges qui peuvent atteindre 50%. Un opérateur suggère pour déjouer ces surfacturations et empêcher la fuite illicite de devises préconise un système ou un instrument de veille économique qui surveillerait les prix des biens et services sur les marchés internationaux. En cas cas d'écart important par rapport aux prix internationaux une enquête est déclenchée. En termes de phénomène, une partie des importations de services n'est en fait que le produit de surfacturations. "Une simple observation de l'importance de ces importations aurait dû interpeller la Banque d'Algérie", confie le consultant Mohamed Kessel. Les importations de services, ajoutent-ils, s'élèvent à 12 milliards de dollars. Elles ne sont autorisées que pour les entités de production de biens et de services et non pour les sociétés spécialisées en la revente en l'état. Or, elles représentent 20% du total des importations alors que l'industrie ne représente que 5% du PIB. C'est énorme.L'ampleur qu'a pris le phénomène de fuite de capitaux, l'importance de l'argent informel en circulation trouve également son origine dans l'absence de transparence. On n'oblige pas les importateurs dans leurs opérations d'avoir des comptes transparents. On n'oblige pas également les importateurs et les commerçants à utiliser le chèque dans leurs transactions. Et les banques à refuser les sacs noirs pleins de dinars pour une opération d'importation ou une transaction commerciale. C'est pourtant l'un des moyens qui va permettre d'endiguer cet argent informel en circulation et cette fuite des capitaux. Toutes ces failles dans les dispositifs réglementaires et de contrôle laissent penser que des agents de l'Etat légifèrent non pas pour contrer cette fuite de capitaux mais pour ouvrir des brèches facilitant la fuite illicite de devises. Enfin, dénominateur commun avec l'affaire BDL de Tébessa, l'Etat n'arrive pas à récupérer ces gros montants transférés annuellement. Parce que l'Algérie n'a pas de convention douanière ou financière avec ces pays à risques. Ce qui suggère encore une fois que nos gouvernants n'ont pas aujourd'hui la volonté politique de lutter efficacement contre la fuite des capitaux. K. R.