Nombre de patrons algériens ont compris qu'acquérir un niveau international de compétitivité est la plus sûre garantie de pérennité pour leurs entreprises et pour tirer avantage des opportunités offertes par l'ouverture même du marché. Une première en Algérie, le Groupement Cluster Boissons Soummam, régi par le code du commerce, est la première entité à but non lucratif à disposer d'un registre du commerce. Dans sa présentation du cluster, Mourad Bouattou, responsable des relations publiques chez le groupe agroalimentaire Yaïci s'est voulu didactique pour expliquer ce "concept nouveau" en Algérie qu'est le cluster. Evitant la définition académique, l'invité de Liberté s'en tiendra à la déclinaison des activités de ce "groupement d'entreprises" qui sont "concurrentes mais néanmoins complémentaires". Appelé au Québec "grappe industrielle", une province francophone toujours à l'avant-garde quand il s'agit de trouver des traductions ou des néologismes dans la langue française, le cluster est donc le mot anglais qu'utilisent les Français pour désigner ce qui tient lieu de groupement d'intérêts économiques. Il s'agit d'une concentration d'entreprises et de partenaires dans une filière émergente et sur un territoire géographique bien défini. Ainsi le Groupement Cluster Boissons Soummam couvre un ensemble d'activités se rapportant à la production de boissons dans la région dite de la Soummam (Béjaïa, Bouira) et des Hauts-plateaux (Sétif, Bordj Bou-Arréridj) soit quatre wilayas. Ce cluster, qui a commencé à voir le jour dès 2012 avec 7 entreprises dont 5 concurrentes dans la filière boisson, a aujourd'hui le vent en poupe, à en croire l'orateur. "Dès le départ, nous envisagions de rassembler autour de ce projet les différents acteurs intervenant en amont ou en aval de cette filière. Il s'agit de mettre en œuvre les conditions à même d'impulser une nouvelle dynamique et de dégager des gains de productivité dans cette filière". Pour Benattou, qui en fut la cheville ouvrière, l'avènement de cette structure n'a été rendue possible que "grâce à la clairvoyance d'acteurs en compétition mais qui sont de vrais professionnels car ayant compris les défis de la globalisation des marchés". D'après lui, il s'agissait de vite trouver la manière idoine pour mettre ce "puzzle en synergie et aller vers des objectifs stratégiques". Le but étant de coordonner et de fédérer les efforts de tous les opérateurs pour la mise en place d'une filière véritablement intégrée. À l'en croire, nombre de patrons algériens ont enfin compris qu'acquérir un niveau international de compétitivité est la plus sûre garantie de pérennité pour leurs entreprises et pour tirer avantage des opportunités offertes par l'ouverture même du marché. "D'ailleurs, c'est bien le dynamisme des capitaines d'industrie et ce genre de regroupement d'entreprises qui orientent finalement la place d'un pays émergent dans la spécialisation et dans la division internationale du travail", explique-t-il. Economies d'échelle Enfin, Benattou parle d'une véritable "prise de conscience" chez les chefs d'entreprise qui veulent, aujourd'hui, aller notamment vers de nouveaux marchés "en rangs groupés". Le cluster leur propose ainsi d'aider à améliorer leur capacité et à se positionner dans des espaces ouverts. En réalité, c'est cela le "véritable défi" que nous imposent aujourd'hui les nouvelles donnes de la globalisation et de l'amplification des relations internationales. D'après Benattou, ce cluster vise à mettre en place les conditions à même de permettre à ses entreprises adhérentes de s'insérer dans des visions et des échelles plus larges que le simple marché local et de mieux exploiter, par la même occasion, les avantages comparatifs qu'elles peuvent éventuellement détenir. C'est pourquoi, il est question d'imaginer, d'après lui, des systèmes propres à enclencher un "cercle vertueux" où les entreprises, les universités et les collectivités locales, dans une dynamique de complémentarité fondée sur des logiques opérationnelles et des processus innovants qui s'allient. Dans ce sens, le savoir doit être placé au cœur des stratégies de ces clusters. Et de rappeler que le premier cluster au monde est la célèbre Silicon Valley. Pour l'heure, l'objectif immédiat étant de réaliser en particulier des "économies d'échelles" grâce à une combinaison et une mutualisation des moyens. "Grâce à la volonté de partage de ses adhérents, notre cluster aspire à devenir aujourd'hui un véritable pôle de compétitivité dans l'agroalimentaire". Bouattou ne manquera pas de remercier, par ailleurs, l'organisme allemand de coopération GTZ spécialisé dans la mise sur pied et l'animation des réseaux de professionnels ainsi que le ministère de l'Industrie qui a mis à la disposition du cluster des locaux dans le centre de facilitation de Béjaïa. De la ferme à la table Bien que l'on constate avec une réelle satisfaction l'irruption de sujets nouveaux dans le débat économique national tels que "l'intelligence économique", "l'économie fondée sur la connaissance" ou encore "cluster", notre vulnérabilité alimentaire est si extrême qu'elle n'en finit pas d'angoisser le plus optimiste d'entre nous. Ainsi, notre deuxième invité au Forum de Liberté, Fawzi Berkati, P-DG de Tchin-lait-Candia et président de la Chambre de commerce et d'industrie Soummam tempérera, quelque peu, les propos très optimistes de Benattou. Il commencera par rappeler d'emblée que les performances de la production laitière sont intimement liées à la production fourragère. Sur ce chapitre, il dit ne pas comprendre que malgré la nouvelle loi sur le foncier agricole portant un régime de concession, "le déclic" n'ait pas encore eu lieu. "L'alimentation des vaches laitières en Algérie provient à 80% de l'étranger" révèle-t-il. Un seuil insoutenable qui pose la problématique de l'élevage hors sol et la question de faire ou de faire faire. Face aux prix qui ont flambé sur le marché international, il appelle les pouvoirs publics à aider les entreprises à disposer de leurs propres fermes. "Cela nous aidera à mieux maîtriser les coûts et la qualité de notre produit. Il faut arriver à des complexes intégrés de l'amont à l'aval, de la ferme à la table". Il révélera, à ce sujet, que son entreprise a demandé des terres agricoles pour installer une ferme laitière pour approvisionner ses unités de production : on nous a proposé des fermes au sud du pays alors que le lait est un produit vivant qui, sans la chaîne du froid, devient, au bout de deux heures seulement, un nid de microbes. "Ce sont-là des questions de grande importance. S'il n'y a pas de terres en amont pour cultiver du vert, autant continuer alors à importer de la poudre de lait", conclut-il. Présent également au Forum de Liberté, le président de l'Association des producteurs algériens de boissons (Apab), Ali Hamani s'est exprimé sur cet immense chantier à mener : "L'objectif principal est de savoir comment augmenter nos compétences, comment utiliser les moyens locaux, comment développer la sous-traitance ? J'adhère au mot grappe industrielle tant il renvoie à plusieurs branches d'activités." Il expliquera que son association représente quelque 85% de la production nationale. "Conscients de l'enjeu, nos membres sont arrivés à un stade de maturité tel qu'ils préconisent un renforcement de nos moyens. Il s'agit aussi de faire face à l'administration locale. Ce regroupement est, de ce point de vue, un moyen de négociation". Il ne manquera pas également de dénoncer le gouffre qu'il y a entre le discours et la réalité du terrain. Baisser l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) pour les entreprises d'importation et de services, et augmenter celui des entreprises de production à l'heure où l'on évoque sur tous les tons la nécessité d'une économie productive est tout simplement aberrant. Aussi, la question récurrente quant à l'intégration agro-industrielle, celle-ci est reléguée, dans le cas d'espèce, par une volonté politique dont on finira, peut-être, un jour, par connaître les mystérieux tenants et aboutissants. On ne parlera pas pour l'heure de sabotage... M.-C. L.