Lors de la bipartite de jeudi dernier, Ahmed Ouyahia a rejeté la majorité des propositions émises par les organisations patronales. Les adhérents de la coordination nationale du patronat algérien (CAP, CNPA, CGEA, CIPA) et l'association des femmes chefs d'entreprise SEVE seront peut-être déçus en lisant, aujourd'hui, les comptes rendus de la presse sur le résultat de la bipartite gouvernement-patronat. Les organisations patronales, notamment privées, n'ont rien pu arracher au gouvernement, lequel leur a opposé des chiffres et des constats difficilement contestables. Les négociations, pour la première fois en bipartite, ont duré plus de 17 heures (de 9h30 le matin de jeudi à 14h30 l'après-midi de vendredi). À la lecture, hier à 5h du matin, du communiqué final devant la presse, les responsables des organisations patronales affichaient une mine défaite peut-être par la fatigue. "Les progrès tangibles en matière de dialogue économique" soulignés par le Chef du gouvernement ne changent rien aux résultats. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont rentrés bredouilles. Jugez-en vous-mêmes. Financement de l'investissement La coordination nationale du patronat a demandé, entre autres, la révision des conditions d'accès au crédit et des taux d'intérêt, l'allongement des délais de remboursement et l'amélioration de la fiabilité des informations communiquées à la centrale des risques. Elle a revendiqué, par ailleurs, l'assainissement de la situation des entreprises déstructurées du fait des circonstances vécues par le pays entre 1994 et 1998 en procédant à l'effacement des agios accompagné de rééchelonnement pour rendre, de nouveau, ces entreprises bancables. Sur la question des taux d'intérêt et de la durée des crédits, le gouvernement explique qu'elle ne relève pas de ses compétences, mais de celles, "d'une part, de la Banque d'Algérie et, d'autre part, des banques elles-mêmes" et que "la politique du crédit doit, en Algérie, obéir à des règles universelles". Chiffres à l'appui, l'équipe d'Ouyahia souligne que "le crédit bancaire aux opérateurs privés et publics est en extension constante, plus de 1 367 milliards de dinars en 2003". Il se projette en croissance de plus de 10% à octobre 2004. Selon le gouvernement, le portefeuille des crédits bancaires concerne aujourd'hui 120 000 entreprises parmi lesquelles les entreprises publiques ne représentent que 1%. Sur un autre registre, le gouvernement en appelle à "la coopération des opérateurs pour compléter l'information réelle sur les risques-crédits, améliorer par là même les réponses favorables des banques aux demandes de crédits et, partant, éradiquer le trafic auquel se livrent des agents économiques en démultipliant les crédits obtenus auprès de banques différentes sur la base des fausses informations qu'ils communiquent". S'agissant du traitement des situations des entreprises ayant subi les conséquences du programme d'ajustement structurel, le gouvernement, en citant les différentes opérations entreprises avec le concours du Trésor public en direction des opérateurs économiques concernés, précise que cette question relève, désormais, des rapports entre les banques et les entreprises clientes. Pour peut-être crever l'abcès, l'ABEF envisage de tenir une table ronde banques-patronat au début de l'année 2005. Assainissement de l'activité informelle Les organisations et associations patronales présentes ont notamment suggéré au gouvernement le renforcement de la lutte contre l'économie informelle, l'imposition aux détaillants de la tenue de la comptabilité d'achat, la mise en place de mesures douanières et fiscales d'encouragement pour le secteur formel et la refonte du conseil de la concurrence avec la participation du patronat. Le gouvernement se dit "engagé de manière constante dans une opération de canalisation du commerce informel en lui aménageant des espaces appropriés". 30 marchés ont déjà été aménagés dans ce cadre au bénéfice de 5 000 commerçants informels. L'activité de contrôle commercial, douanier et fiscal, ajoute l'Exécutif, se développe de plus en plus. Le contrôle commercial a porté sur 500 000 interventions en 2003 avec pour résultats la saisie de 6,4 milliards de dinars de marchandises et la fermeture de 9 000 locaux commerciaux, la destruction de 8 000 tonnes de marchandises et le blocage aux frontières de 16 000 tonnes de produits non conformes. Il avertit que l'Etat "poursuivra une lutte ferme contre la contrebande, l'évasion fiscale et le non-paiement des charges patronales". Le gouvernement demande la participation des organisations et associations patronales à cet effort sous forme de mobilisation de leurs adhérents à s'acquitter de tous leurs devoirs, du refus de s'inscrire dans le commerce frauduleux, de l'exigence des documents administratifs dans leurs transactions, y compris les factures, et par la dénonciation des trafics constatés. Mise à niveau des entreprises Les organisations et associations patronales ont plaidé pour la mise en place d'un "plan de type Marshall". Une proposition rejetée par le gouvernement. Pour lui, l'énorme intervention du budget public dans la relance économique et le soutien à la croissance visent à la fois à satisfaire les demandes des citoyens en infrastructures diverses, mais aussi à offrir des marchés aux opérateurs nationaux ou étrangers. Cette intervention, qui a été de plus de 2 000 milliards de dinars (ou 30 milliards de dollars), le quinquennat passé, et sera de 4 000 milliards de dinars (ou 50 milliards de dollars), les cinq prochaines années, est un apport décisif mais transitoire dont l'appareil économique national doit tirer le meilleur profit surtout que, conformément aux règlements en vigueur, l'entreprise de droit algérien bénéficie d'un avantage de 15 % lors des soumissions. Le gouvernement constate que depuis la mise en route du programme public d'aide à la mise à niveau des entreprises en 2002 et jusqu'à novembre 2004, seuls 293 dossiers ont été introduits par les entreprises, dont 191 ont été retenus, et le reste concerne surtout des entreprises totalement déstructurées. Il précise aussi que même "le programme conclu directement entre l'Union européenne et une des associations patronales n'a pas connu une évolution suffisante". Le gouvernement soulignera "en toute franchise" que le crédit sera l'élément fondamental du financement de la mise à niveau. L'aide des pouvoirs publics viendra en complément. Fiscalité Les patrons ont demandé la suppression des taxes douanières sur les matières premières, un nouveau barème de l'IRG revu à la baisse, l'exonération totale de l'IBS des bénéfices réinvestis, la réduction de l'IBS dans une fourchette de 15 à 20%, l'exonération de l'IRG pour les contribuables soumis à l'IBS, la franchise de la TVA pour tout investissement de rénovation, de conversion ou d'extension, la réduction de la TVA pour les produits fabriqués en Algérie et, enfin, la suppression de la TAP et du VF. Le gouvernement se dit acquis au dialogue pour améliorer les encouragements fiscaux à l'investissement et à la création d'emplois, mais pour lui “une démarche qui aboutirait à une quasi-défiscalisation de l'activité économique ne serait ni respectueuse des principes constitutionnels en matière fiscale, ni bénéfique pour l'ensemble de la collectivité nationale, ni adaptée aux règles de concurrence internationale”. Privatisation Sur ce dossier, les organisations de la coordination patronale ont exprimé leur désaccord concernant le recours par les pouvoirs publics à une nouvelle absorption des déficits des entreprises publiques, considéré comme une politique de deux poids, deux mesures, et leur souhait d'être impliquées dans la recherche d'outils de solutions de privatisation ainsi que dans la recherche de partenaires-repreneurs. Sur le premier point, le gouvernement a voulu clarifier les débats. Les entreprises publiques, précise-t-il, sont la propriété de l'Etat qui, de ce fait, est responsable de leurs dettes qui en tout état de cause sont léguées au Trésor public en cas de faillite et après liquidation des actifs. Dès lors, aucune comparaison ne peut être avancée entre la propriété publique et la propriété privée. Pour le processus de privatisation, le gouvernement affirme être engagé dans le passage à l'acte de privatiser ou de conclure des partenariats. “Le dialogue et la concertation sont menés en parallèle avec les collectifs des travailleurs des entreprises concernées qui sont légitimement en droit d'être rassurés sur leur devenir et auxquels la préservation de leur emploi sera garantie”, souligne-t-il. Le gouvernement annonce qu'il soumettra le bilan des entreprises privatisées au profit des travailleurs à l'occasion de la prochaine tripartite, prévue le mois prochain, et qui verra peut-être le début d'écriture du pacte économique et social. Selon l'Exécutif, ce mode de privatisation a permis la création de plus de 1 500 entreprises, propriété des travailleurs, la sauvegarde de près de 20 000 emplois et a donné lieu à des centaines de réussites qui ont connu une prospérité et abouti à des recrutements nouveaux de travailleurs. Le gouvernement reconnaît tout de même l'existence de nombreux cas d'échec. Charges sociales et emplois Les associations de la coordination patronale ont demandé la révision complète du régime des assurances sociales et le réaménagement du code du travail. Sur les deux points, le gouvernement juge plus approprié de les discuter lors de la prochaine tripartite des dossiers relatifs à la problématique de la Sécurité sociale et de la régulation de l'emploi qui ont déjà été ouverts par la tripartite et confiés à des groupes de travail tripartites dont les conclusions sont prêtes. Ouyahia avertit tout de même que le gouvernement a engagé des mesures qu'il compte poursuivre avec détermination “pour réprimer et réduire la fraude au versement des obligations sociales par les employeurs”. L'Exécutif a, par ailleurs, informé le patronat qu'il compte introduire dans le débat, à l'occasion de la tripartite, la question du payement des allocations familiales par les employeurs. Foncier industriel Sur cette question, le Chef du gouvernement dira que “4 000 hectares vacants dans plusieurs régions du pays et 40 000 parcelles équipées sont à la disposition des investisseurs dans le cadre de la dynamisation de la politique d'équilibre régional”. En tout état de cause, le communiqué commun annonce la mise sur pied d'un groupe de travail bipartite qui “abordera en profondeur les questions liées au rôle des pouvoirs publics en matière d'incitation à l'investissement et, notamment, le foncier industriel, l'assainissement de l'économie informelle et la mise à niveau des entreprises”. M. R.