"Ya Rab, Faites qu'on soit au rendez-vous !" À quelques jours de l'ouverture officielle de la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015", ce cri du cœur, les autorités voudraient qu'il soit poussé haut et fort. D'autres, tels des amants éconduits, cèdent à la fatalité et baissent déjà les bras, convaincus que Constantine ne sera pas en mesure de respecter tous ses engagements... La scène se passe sur l'avenue Belouizdad. En plein jour. Des passants viennent de recevoir des pierres sur la tête, des gravats visiblement tombés du chantier non sécurisé. C'est la débandade. Des insultes commencent à fuser de part et d'autre et cela dure pendant plusieurs minutes. Cette scène, parmi tant d'autres, rappelle le quotidien "cauchemardesque" des Constantinois, depuis plusieurs mois. Impossible d'échapper au brouhaha causé par les gros engins de construction qui ont envahi les grandes avenues du centre-ville. En effet, c'est par la grâce de sa nomination au titre de capitale de la culture arabe, par l'organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (Alesco), que Constantine tente de rattraper dans la précipitation son retard culturel. Profitant des préparatifs de cet événement, les pouvoirs publics ont entrepris un véritable programme de rénovation des infrastructures culturelles, en ont créé d'autres, restauré "superficiellement" son vieux bâti et changé aussi sa physionomie. Dans leur élan de "générosité", les autorités ont également décidé de paver, une fois encore, les principales artères et de badigeonner les façades lépreuses des immeubles de la cité Numide. En fait, dans une ville qui ne connaît pas la mesure, on est passé du manque au trop plein. La cité tout entière, pour ainsi dire, résonne des coups de marteaux et des raclements de pelles. Jour et nuit. Devant cette suractivité, les riverains prennent leur mal en patience. "Notre quotidien a été complètement bouleversé au point de ne plus s'y retrouver, les ouvriers travaillent de jour comme de nuit pour rattraper le retard, mais ce sont les habitants qui en pâtissent", dira Hamid S., un jeune étudiant qui, pour se rendre à la faculté, a dû changer ses habitudes comme des centaines comme lui. D'autres pour éviter d'être coincés dans les bouchons, causés pour la plupart par les travaux, ont carrément opté pour le tramway, même si cela leur revient plus cher. "J'ai décidé de prendre le tram pour ne pas perdre de temps dans la circulation, et ça me coûte 170 DA chaque jour, car une fois arrivé au terminal, je dois encore prendre un taxi pour enfin rentrer chez moi, à la nouvelle ville Ali-Mendjeli", nous dira Lamia. Mais si pour cette dernière, la situation est peu enviable, elle l'est moins pour d'autres. Il s'agit des transporteurs clandestins. Ces derniers se sont constitués, pour ainsi dire, en association informelle et ont créé leurs propres stations de taxi et déterminé les lignes à desservir. Une initiative que les usagers ont accueillie non sans une certaine satisfaction. "La plupart des stations de taxi réglementaires ont été délocalisées à cause des travaux", confie Salim, un usager des transports en commun. Et de poursuivre : "Certes, il y a beaucoup de désagréments, mais la manifestation a donné un coup d'accélérateur à un certain nombre de projets jamais entrepris faute de volonté politique." Beaucoup de Constantinois ont davantage à l'esprit les contraintes engendrées depuis l'entame de l'opération, avec le lancement officiel de la manifestation. Les commerçants, notamment ceux qui ont pignon sur rue, en subissent le contrecoup. Il suffit de se rendre dans certains magasins désespérément vides pour se rendre compte que ceux-ci subissent, malgré eux, une baisse sensible de leur chiffre d'affaires. En fait, les clients ne s'y bousculent plus, et ce, pour deux raisons. La difficulté d'accès pour les piétons et la quasi-impossibilité pour les automobilistes de stationner. Lazhar est patron d'une parfumerie de luxe. "J'ai perdu jusqu'à 20% de mon chiffre d'affaires, depuis le début des travaux", se désole-t-il. Le patron d'une pizzeria a, lui aussi, vu sa clientèle se réduire comme une peau de chagrin. "On voit de moins en moins de clients, même ceux qui avaient l'habitude de venir déjeuner chaque jour on ne les voit plus", déplore notre interlocuteur. Même constat pour certaines boutiques de vêtements, dont les gérants profitent du calme plat pour faire un brin de toilette. "Avec les travaux, les gens ont peur de se déplacer et buter sur les gravats ou recevoir une pierre sur la tête", constate Khalil, tout en regrettant l'inexistence d'un dispositif d'échelonnement de leurs charges fixes du moment que les travaux impactent sur leurs activités. La vaine course contre la montre continue "Ya Rab, Faites qu'on soit au rendez-vous !" À quelques jours de l'ouverture officielle de la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015", ce cri du cœur, les autorités voudraient qu'il soit poussé haut et fort. D'autres, tels des amants éconduits, cèdent à la fatalité et baissent déjà les bras. Pour eux, Constantine ne sera pas en mesure de respecter tous ses engagements. Nous sommes à J-2. La sérénité de façade des autorités s'est muée, malgré eux, en inquiétude. En quelques jours, le climat a basculé, force est de le constater. Le wali de Constantine a dû multiplier ses visites d'inspection, car malgré une relative avancée dans le programme de modernisation urbaine, la ville continue à enregistrer beaucoup de retards. Si bien qu'au jour de l'inauguration, hormis le Zénith, presqu'aucun des nouveaux équipements phares de la capitale culturelle ne sera livré. La grande bibliothèque en chantier à Bab El-Kantara, ainsi que le nouveau musée des Arts construit dans les anciens locaux du monoprix ne seront pas prêts, pas plus que le parc citadin du Bardo, réalisé sur les ruines des anciens bidonvilles. Même constat pour les lieux de culte, à savoir les anciennes mosquées et les zaouïas situées dans la vieille ville. Les travaux de restauration, bien qu'ils aient été lancés dans les temps, sont aujourd'hui à l'arrêt, à cause d'une confusion entre le code des marchés et la loi sur la préservation du patrimoine. "Les travaux ont été lancés à la hâte sans consultations préalables", conviennent les professionnels du secteur. A contrario, les anciennes infrastructures à l'image du centre culturel Mohamed-Laïd-El-Khalifa, le palais de la culture Malek-Haddad et le théâtre régional seront prêts, a assuré le chef de l'exécutif, Hocine Ouaddah, lors de sa dernière visite d'inspection des chantiers ouverts pour l'occasion. Les Constantinois se réconcilieront-ils avec leur ville ? Constantine, qui faisait figure de ville morte, incapable jusqu'ici de se mettre au diapason de ses rivales Alger, Oran, ou encore Annaba, se voit, aujourd'hui, non seulement rehaussée de nouveaux espaces, mais se doit également de faire valoir son statut de grande métropole de l'Est. Un défi qu'il lui sera difficile de relever car il faut reconnaître qu'en dépit de sa réputation de ville de la culture, elle a cessé depuis des lustres de développer sa vie nocturne à commencer par les transports en commun qui cessent toute activité dès 20h et les rues et grandes places de la capitale de la Numidie, qui commencent à se vider dès 18h. Aussi, on en est à se demander si la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015" arrivera à réconcilier la ville avec ses habitants. La ville du Rocher a l'occasion de mettre sur le devant de la scène arabe et internationale ses meilleurs atouts dans le domaine de la création culturelle et artistique. Cet événement que l'on souhaite grandiose devrait permettre, notamment aux acteurs de la culture locale, d'être reconnus et consacrés. L'un d'entre eux, Antar Hellal, est optimiste, quant à lui. "Constantine a réussi un véritable coup de maître depuis l'Indépendance en donnant contre vents et marées l'image d'une ville incontournable. Même si elle n'était pas prête au moment où elle a été désignée par l'organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences, il n'en demeure pas moins qu'elle se révélera à la hauteur du titre qui lui a été dévolu", espère-t-il. Antar Hellal soutient, par ailleurs, que la polémique créée autour de la manifestation n'a pas lieu d'être. "Ceux qui appellent au boycott n'ont aucun argument à faire valoir. Ce n'est pas seulement avec une langue (amazighe) qu'on peut faire de Constantine ou d'une autre wilaya une capitale de la culture", dira notre interlocuteur. Des disparités criantes entre les quartiers Aujourd'hui, Constantine se pare de ses plus beaux atouts pour accueillir l'événement de l'année. Le projet a été financé à hauteur de 60 milliards de dinars. La majeure partie de ces fonds a été injectée dans les nouvelles constructions. Mais dans cette gigantesque opération de lifting urbain, les habitants des cités périphériques, situées au sud de la ville, incluant les plus pauvres, ont été lésés. Aucun projet ni programme de réhabilitation ne leur a été attribué. Pourtant, certains de ces quartiers en avaient grandement besoin et la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015" se révélait l'occasion ou jamais d'un regain salutaire d'intérêt. De l'avis des spécialistes, c'est sur ces quartiers qu'il aurait fallu également se focaliser. On se demande, donc, à qui profite réellement la manifestation capitale de la culture ? C'est ainsi donc que Constantine se retrouve avec un patrimoine infrastructurel digne d'une capitale de la culture. Aujourd'hui, tous les centres culturels, la salle de spectacle du Zénith et le théâtre régional battront leur plein. Mais une question se pose : dans une ville où la population est peu ou pas du tout habituée aux institutions culturelles, sauf pendant le mois sacré de Ramadhan, quel sera le devenir de toutes ces infrastructures ? De l'avis de certains : "Il sera très difficile de maintenir à flots ces salles, une fois que la manifestation arrivera à sa fin." Crise financière oblige. Les Constantinois ont d'autres soucis et d'autres priorités que d'aller au théâtre ou au cinéma, s'accordent à dire les quelques personnes que nous avons interrogées. D'autres, en revanche, estiment qu'"il fallait d'abord ré-inculquer l'esprit de la culture au sein de la population d'une ville qui, aussi paradoxal soit-il, est le berceau du savoir et de l'art". L. N. Lire le dossier