Pour avoir une idée plus précise de la masse sidérante que représente l'importation dans notre économie, il faut avoir à l'esprit que ce secteur a consommé près de 575 milliards de dollars entre 2000 et 2014 ! Tout au long de ces dernières années et plus particulièrement depuis que les cours du pétrole ont plongé, on entend les plus hautes autorités du pays évoquer la nécessité absolue de relancer notre industrie pour enfin sortir de notre dépendance aux hydrocarbures. Les uns après les autres, nos augustes ministres étrennent un vocabulaire résolument offensif. On nous dit que la production nationale doit coûte que coûte se substituer aux ruineuses importations. Avec la même force de conviction et un engagement visiblement sincère, on nous explique que notre sécurité nationale est sérieusement menacée par ce flot continu de produits étrangers qui se déversent à nos frontières par bateaux entiers. Pour avoir une idée plus précise de la masse sidérante que représente l'importation dans notre économie, il faut avoir à l'esprit que ce secteur a consommé près de 575 milliards de dollars entre 2000 et 2014 ! L'heure serait donc à l'action (ou réaction), d'après les déclarations de nos honorables officiels. S'il est malvenu de mettre en doute la parole de ces derniers, la réalité du terrain nous oblige toutefois à faire preuve d'un minimum de scepticisme. Il suffit en effet de jeter un œil, même furtif, à nos organes d'information pour constater que le mal qui ronge notre tissu industriel nécessite bien plus que de simples déclarations pour être vaincu. C'est dans ce contexte prétendument favorable à la production nationale que s'est inscrite l'initiative d'intégration technologique du premier et unique fabricant d'équipements dentaires algérien. Mais c'était compter sans toutes ces mains invisibles qui réservent les marchés publics aux seuls produits importés. "Nous avons en effet vite mesuré l'immense fossé qui sépare les bonnes intentions de la réalité concrète", confesse, plein d'amertume, cet entrepreneur un peu trop audacieux aux yeux de notre administration. "Notre initiative n'avait pourtant rien d'extravagant. Notre fauteuil dentaire estampillé "Made in Algeria" est né après avoir pris conscience qu'il était parfaitement inconcevable qu'en dépit de notre capital humain (ingénieurs, techniciens...), nous en soyions encore à importer des équipements qui sont constitués, à près de 80%, de métal et de plastique, des matières qui sont largement disponibles en Algérie. Notre incompréhension est d'autant plus grande que le marché des fauteuils dentaires dépasse largement les seules capacités de production de notre entreprise. Il y a en effet assez de place pour d'autres opérateurs nationaux", ajoute notre source. Loin des discours rassurants et des sempiternels "bilans positifs", on voit combien la bureaucratie, le climat des affaires, la concurrence déloyale et le foncier peuvent peser lourd sur les épaules de tous ceux qui font preuve d'initiative. Car il est parfaitement clair que le cas de ce malheureux fabricant d'équipements dentaires n'a rien d'une exception. On pourrait même dire qu'il illustre parfaitement le profond malaise qui touche l'ensemble des producteurs nationaux. Les déboires avec l'administration publique et l'opacité des passations des marchés publics dont tout le monde se plaint sont carrément érigés en norme. Ce profond malaise est parfaitement perceptible chez toutes les entreprises algériennes qui ont essayé de se poser en alternative du tout puissant circuit de l'importation. On pourrait évoquer à l'envi les exemples d'entrepreneurs désabusés. Avec un brin de cynisme, on pourra dire que ces malheureux industriels ont au moins le mérite de mettre en exergue l'omniprésence des importateurs et de souligner l'absence d'un patriotisme économique tangible. Tout semble, en tous cas concourir à l'étouffement des opérateurs économiques qui ont à cœur de redonner vie à notre industrie. Rien ne semble pouvoir endiguer cette préférence outrageuse pour les produits importés, pas même les quelques timides lois qui sont censées favoriser les produits fabriqués localement. Car, comme souvent, le génie du gaspillage trouve toujours un moyen de sortir du cadre tracé. C'est ainsi qu'une disposition légale, qui permet aux producteurs nationaux de vendre leurs produits 25 % plus cher que leurs équivalents importés, est allègrement contournée en invoquant l'argument fallacieux du mieux-disant. Pour échapper aux comparaisons de prix, on avance souvent une improbable histoire de qualité. Dans leur course à la gabegie, certains gestionnaires indélicats vont même jusqu'à lancer des appels taillés sur mesure pour de généreux "amis" importateurs. C'est à peine s'ils n'inscrivent pas dans la fiche technique la marque du produit et le nom de l'ami qu'ils veulent favoriser. Personne ne peut à l'heure actuelle dire ce qu'il en est réellement de la volonté de nos gouvernants de redonner vie au tissu industriel algérien, mais il est légitime de penser que les choses ne vont pas changer d'un simple coup de baguette magique. Il y a bien évidemment des déclarations de bonne intention. Il est clair que ça fait du bien d'entendre les plus hautes autorités reprendre à l'unisson un vocabulaire qui fait soudainement la part belle aux notions de rigueur et de rationalisation des dépenses publiques. Mais il faut aussi et surtout donner de la substance à tous ces mots. Tous nos ministres pourraient par exemple faire comme leur collègue de l'Habitat qui a exigé que les produits de fabrication locale soient désormais choisis prioritairement dans les chantiers lancés par les promoteurs immobiliers publics. En attendant la généralisation d'une telle recommandation, les producteurs nationaux affichent naturellement un scepticisme de circonstance. Le doute est d'autant plus permis que la stratégie de réhabilitation de la production nationale affiche des contours extrêmement flous. Et ce n'est pas l'adhésion imminente de l'Algérie à l'OMC qui va apporter plus de lumière sur le sujet. Nous sommes en tous les cas encore très loin du patriotisme économique qui est promu sans complexe un peu partout en Occident et ailleurs dans le monde développé. Des pays pourtant connus pour être des champions de la mondialisation ont déployé tout un arsenal pour protéger et promouvoir leurs entreprises. Là où nous ouvrons nos portes aux camelots de tous horizons, des nations comme les USA ont érigé de véritables barrières pour "couver" de larges pans de leur industrie. Afin d'aider ses entreprises à mettre la main sur de nouveaux marchés ou à garder un ascendant technologique sur leurs concurrentes étrangères, l'Oncle Sam est allé jusqu'à déployer un immense réseau d'espionnage (le fameux réseau Echelon). Sans pousser le bouchon aussi loin, on peut au moins arrêter de nous faire prendre les vessies pour des lanternes. Tôt ou tard, nous devrons impérativement repenser notre modèle économique et revoir de fond en comble les rapports qu'entretiennent nos entreprises avec ceux qui sont censés trouver une alternative à la dépendance aux hydrocarbures. Sans animosité et sans céder à la colère, nous sommes appelés à engager un débat sérieux sur la place que doivent occuper les opérateurs économiques dans notre politique de développement. A.S.- B. (*)1er fabricant algérien d'équipements dentaires