Dès l'annonce de l'attaque du vendredi 26 juin dernier contre les touristes du Riu Imperial Marhaba de Port El-Kantaoui à Sousse, les Algériens, dans leur majorité, se sont sentis interpellés par le devoir de porter aide et assistance aux frères et voisins tunisiens dans un élan de solidarité spontané et exemplaire. Passé les premiers moments d'émotion place aux questions et aux tentatives de réponses pertinentes sur la possibilité et la capacité du marché algérien à suppléer aux marchés occidentaux pour lesquels la saison estivale 2015 en Tunisie est déjà terminée. Aussi bien les questions que les réponses se situent au niveau de la demande et de l'offre. Le reste n'est que paroles car, sur le terrain, la Tunisie dispose d'une offre touristique qui cherche une demande pour la consommer, des touristes dotés d'un pouvoir d'achat venir dépenser l'argent nécessaire pour alimenter la balance des paiements extérieurs, faire tourner l'économie, créer de l'emploi et de la richesse. La Tunisie avait axé sa stratégie de développement touristique de 1980 à 2000 sur une offre à même de capter une clientèle occidentale cherchant le farniente sur ses plages et surtout au sein de ses complexes touristiques. Ce n'est pas pour rien si l'on dit que les séniors occidentaux trouvent moins cher un séjour dans un complexe balnéaire tunisien que de rester chez eux en Europe ! C'est le tourisme de bas de gamme, sans visées péjoratives, avec un rapport qualité-prix défiant toute concurrence dans le bassin méditerranéen. À partir de 2000, la destination a tenté d'opérer une montée de gamme en investissant dans la qualité et dans un nouveau marché, celui du tourisme de bien-être, tout en restant dans une logique du meilleur rapport qualité-prix. Avec la révolution du Jasmin, la notion du meilleur prix à même de rentabiliser les investissements est en train de remplacer celle du meilleur rapport qualité-prix afin que l'activité touristique ne devienne pas un alibi pour la fuite des ressources en devises du pays. Du coup, de 2010 à ce jour, une augmentation d'une moyenne de 50% est constatée sur les prix de l'offre touristique tunisienne. Souvent, cette majoration des tarifs ne s'est pas accompagnée d'améliorations de la qualité, de l'avis de la majorité des TO émetteurs vers la Tunisie et des responsables locaux du secteur. Quel apport de la demande algérienne au marché tunisien ? Aujourd'hui, sauf surprise de dernière minute, nous allons vers une quasi-déconfiture de la clientèle occidentale et ce ne sont pas les discours à connotations diplomatiques des uns et aux accents émotionnels des autres qui vont inverser une tendance déjà largement amorcée. Dans ce cas, en connaissant la nature de l'offre tunisienne, la question de savoir si le marché algérien peut se substituer à la demande traditionnelle européenne. Pour répondre objectivement à cette question, une tentative de cerner la demande algérienne sur le marché tunisien s'impose. Autrement-dit, qui sont ces Algériens habitués à passer la frontière tunisienne ? De quel milieu socio-professionnel viennent-ils ? Quel est leur pouvoir d'achat ? Quel type de séjour et d'hébergement préfèrent-ils, ... ? Les statistiques officielles tunisiennes donnent un nombre d'Algériens qui passent leurs vacances au pays du jasmin à plus de 1 000 000 par an. Or, ici, c'est le nombre de passages des frontières qui est donnée, quelle que soit la motivation qui peut être touristique, familiale, entre riverains, contrebande, juste pour le change de l'allocation touristique en fin d'année, la main d'œuvre, ... Les seules données fiables dont on dispose remontent aux années 2006-2008. Selon ces données, seuls 30% des Algériens optent pour des séjours en hôtellerie classée. Chez cette clientèle, le séjour est d'une moyenne de 3 nuitées. De par la configuration démographique de la population algérienne, la clientèle est jeune et la part des séniors reste minime. Comme on le voit, sur ce volet, le marché algérien, par rapport au marché occidental, offre moins de garanties de rentabilisation des investissements hôteliers érigés dans les stations balnéaires, qui reste le modèle de développement du tourisme tunisien. Le pouvoir d'achat du touriste algérien est lié à sa part de la rente plus qu'à sa rémunération dans une économie productrice de richesses. La crise sur le marché des hydrocarbures, rajoutée aux dernières augmentations du prix de la destination Tunisie, commence à se faire ressentir sur la bourse des Algériens affectée aux voyages, déjà éprouvée par les dépenses liées au logement. Il n'est pas sûr que l'Algérien maintiendra, à court terme, au même niveau d'il y a 2 années de cela, son budget tourisme. C'est-à-dire si la demande occidentale est biaisée par la situation sécuritaire, la demande algérienne, elle, est freinée par la perte du pouvoir d'achat des ménages à la suite de la crise sur le marché des hydrocarbures, entre autres. Au rythme de la propagation de la menace terroriste, l'Algérie, elle-même, n'est pas à l'abri de l'instabilité et l'hypothèse de voir notre pays lui aussi secoué par des attentats spectaculaires, bien qu'il soit lointain, ne peut pas être écartée lors d'une étude de marché sérieuse. Enfin, le pire scénario d'une escalade des actes terroristes sur le territoire tunisien, toujours à court terme, n'est pas à écarter, non plus. Dans ce cas, au même titre qu'on cherche à assécher les sources de financement, on veillera à assécher les sources des cibles potentielles. Passé un certain niveau de récurrence des attentats ciblant les touristes étrangers, la Tunisie sera obligée à mettre un frein aux arrivées des touristes occidentaux et voisins. À tout moment, la limitation de la circulation des populations des deux côtés de la frontière, notamment pour certaines catégories démographiques, pourrait s'avérer nécessaire afin de limiter les dégâts comme on dit. Enfin, et pour finir avec une note d'espoir, l'atout du touriste algérien, majoritairement jeune, préférant hébergement et dépenses hors hôtels, par rapport au touriste occidental, est qu'il dépense beaucoup en ville. Son apport est plus considérable pour les économies locales que pour l'investissement hôtelier. Si, l'urgence de l'économie touristique tunisienne n'est pas de sauver des milliers d'emplois et de soustraire à la faillite des centaines de complexes, le marché algérien pourrait-être le jackpot. Le cas contraire, seule la solidarité des opérateurs européens est la solution mais, ici, il faut convaincre un client très porté sur sa sécurité. M. K. Lire le dossier