L'islam occupe le devant de la scène depuis des années en France. Les maisons d'édition et les journaux en profitent pour gonfler leurs tirages. Les émissions de télévision consacrées à l'islam aux musulmans se multiplient. Beaucoup d'intellectuels viennent sur les plateaux de télévision annoncer l'échec du multiculturalisme en insistant sur la menace de l'islam sur l'identité française. Les hommes politiques, en panne d'idées nouvelles et novatrices, trouvent dans ce climat une véritable aubaine pour mobiliser leur électorat. Après un travail intello-politico-médiatique mené sans relâche au cours de ces dernières années, on comprend plus facilement les réponses aux questions de certains sondages. Il ne passe pas une semaine sans qu'un média, un organe de presse ou un homme politique ne se pose la question de savoir si l'islam est un danger pour la République, si ses valeurs sont compatibles avec la démocratie ou si les musulmans peuvent s'intégrer dans une société sécularisée. La peur s'est installée en France suite aux attentats de Toulouse et Montauban en 2012, de Charlie Hebdo à Paris en janvier 2015 et ceux de Saint-Quentin-Fallavier en juin 2015. Si ces angoisses sont surtout le fruit d'un travail médiatique et politique, il y a des questions légitimes que les non-musulmans sont en droit de se poser. Ces questions ne traduisent pas forcément des incompréhensions ou des malentendus. Elles nous montrent nos défauts, nos limites et parfois mêmes nos manquements et nos déviations. Cela étant dit, les inquiétudes et les angoisses des Français non musulmans, on les retrouve aussi chez les Français de confession musulmane sans cesse victimes d'amalgames et de raccourcis intellectuels et médiatiques qu'entretiennent des responsables politiques censés représenter les valeurs de la République. Pourquoi n'accède-t-on pas aux mêmes responsabilités selon sa couleur de peau ou la consonance de son nom ? Pourquoi un major de promotion d'une école d'ingénieurs est encore au chômage au bout de deux à trois ans parce qu'il est noir ou arabe, alors que ses camarades ont tous trouvé un emploi ? Pourquoi persiste-t-on à parquer les musulmans dans des ghettos sociaux où s'accumulent les problèmes de chômage, d'insécurité et de marginalité avec les conséquences que l'on connaît ? Dénoncer toutes ces injustices ne suffit plus aujourd'hui. Il faut se donner les moyens de les éradiquer ou du moins les minimiser. Dans ce domaine, les musulmans de France ont souvent droit à de grands discours sans portée pratique. Il faut que cela change, car s'ils ne doivent pas avoir plus de droits que les autres, il faut veiller à ce que les musulmans de France n'aient pas moins de droits que les autres. Et pour ce faire, il faudra commencer par éviter de réduire le comportement négatif d'un individu ou d'un groupe d'individus à la définition de toute une communauté. Si les responsables politiques se préoccupaient moins de leur réélection et s'intéressaient un peu plus à ce qui se passe chez les Français de confession musulmane, ils verraient que l'islam en France est devenu une réalité sociale, culturelle et religieuse. Dans leur immense majorité, les musulmans pratiquent un islam apaisé, moderne, ouvert, enraciné dans la culture française et respectueux des lois de la République dans une France profondément attaché à la laïcité. Ils se définissent comme Français de confession musulmane et sont culturellement français. Ils parlent et échangent en français leur première langue et participent pleinement à la vie publique. C'est avec ces Français de confession musulmane qui représentent les meilleurs vecteurs de l'intégration des musulmans qu'il faut construire l'avenir avec confiance et détermination. Cette intégration réussie et assumée se retrouve même dans l'architecture des nouvelles mosquées construites ces dernières années et qui s'inscrivent harmonieusement dans le paysage environnant. Par ailleurs, dans beaucoup de mosquées, une partie du prêche de la prière du vendredi se fait en français et les demandes de carrés musulmans dans les cimetières est en constante augmentation. Cela fait très longtemps que l'on vit en France comme si les musulmans n'existaient pas. On fait comme s'ils n'avaient pas des préoccupations, des demandes et qu'ils n'avaient pas eux aussi peur d'un avenir incertain comme tous les Français. Malgré l'image négative que véhiculent certains médias et hommes politiques obsédés par les élections, les musulmans se sentent chez eux en France et c'est dans ce pays qu'ils désirent construire leur avenir, éduquer leurs enfants et mourir. L'islam est désormais "une religion française" au même titre que les autres grandes religions. A. G. (*) Recteur de la mosquée de Villeurbanne et universitaire