La commission nationale de l'observation du croissant lunaire rattachée au ministère des Affaires religieuses et des Wakfs se réunira la nuit du doute fixée ce jeudi pour annoncer le premier jour de l'Aïd El-Fitr qui marque la fin du mois sacré du Ramadhan. La période de jeûne de cette année aura été marquée par des événements tragiques sur le plan national et international. Parmi ces drames, il y a eu entre autres les cinq attentats simultanés en Tunisie, France, Koweït, Syrie et Somalie qui ont fait des centaines de morts et les violences meurtrières de Ghardaïa (1), celle ville millénaire aux portes du Sahara qui n'en finit pas de se déchirer. Ces événements gravissimes qui semblent se multiplier durant le Ramadhan interpellent notre conscience et nous poussent à mener une réflexion profonde sur les véritables significations de nos pratiques religieuses. Comment expliquer la montée en puissance de la violence dans une ville paisible, tranquille et sans stress comme Ghardaïa ? Qui alimente ces déchirements sanglants qui risquent de mettre en péril l'unité nationale ? S'agit-il d'un problème à proprement parler religieux, d'un conflit ethnique ou d'une instrumentalisation à des fins politiques ? Pourquoi laisser s'éterniser la situation actuelle et la violence se poursuivre sans espoir d'en finir ? Je n'ai évidemment pas de réponses à toutes ces questions difficiles, compliquées et très sensibles. En revanche, je sais que la richesse de l'Algérie est dans l'addition et non la soustraction de toutes ses différences. L'Algérie a besoin d'hommes et de femmes politiques sages pour gérer ses conflits internes dans la patience. Elle a besoin de ses imams pour expliquer aux jeunes générations que la douceur n'est pas un signe de faiblesse car "celui qui se voit interdire la douceur, se voit interdire tout bien" (2). Elle a besoin de ses intellectuels, sociologues, enseignants et éducateurs pour accompagner ces jeunes, leur apprendre à ne pas confondre franchise et agressivité, rumeur et vérité, maladresse et trahison. Le mois de Ramadhan est une occasion pour réfléchir profondément à toutes ces questions urgentes et brûlantes. C'est aussi le moment le plus propice pour revenir à nous-mêmes. Chaque année, il s'invite à nos portes pour transformer nos vies, nous obliger à rompre avec le quotidien et nos habitudes et nous aider à nous réconcilier avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu par un dialogue intérieur. C'est le mois du don de soi dans l'humilité et la tendresse, de l'intelligence du cœur et le chemin d'une véritable transformation intérieure. Tout se croise et s'entrecroise, se mêle ou s'entremêle avec une facilité déconcertante en ce mois de privation du corps et d'élévation du cœur : la paix, la miséricorde, le pardon, la bienveillance, le besoin de proximité, de désir de Dieu, le besoin de sens, d'une régénération de la spiritualité, le besoin de prendre ses distances avec le monde pour se rapprocher du Créateur des mondes et enfin le besoin de faire le bien autour de soi et pour le monde. Il y a comme une magie de Ramadhan qui nous touche tous, individuellement et collectivement. Cette magie s'opère et se manifeste encore plus durant les nuits impaires des dix derniers jours du Ramadhan que le musulman est appelé à passer en veille pour chercher la nuit du destin, meilleure que mille mois réunis. Nous l'avons rappelé plus d'une fois : plus qu'une simple privation du corps, il s'agit de pratiquer le jeûne du cœur qui consiste à se confier et à se retourner totalement à Dieu, matin et soir, jour et nuit. Ne vivre que par Lui, avec Lui et pour Lui. Passer ses nuits avec Lui, en prières, dhikr et lecture du Coran. Et consacrer ses jours à atténuer les souffrances des plus démunis, les pauvres, les nécessiteux et les laissés-pour-compte. Toute notre attention doit être tournée vers le Tout-Miséricordieux, en espérant qu'Il réponde à notre appel quand on L'appelle : "Appelez-Moi, Je vous répondrai" (3), "Venez à Moi en marchant, c'est en courant que Je viendrai à vous." (4) Quant à nos réactions et nos attitudes dans nos relations aux autres, on pardonne pour être en paix, on fait semblant d'oublier pour garder le sourire, on garde le silence pour ne pas polémiquer, on ne tient pas rigueur pour ne pas souffrir et on patiente et persévère toujours, car notre confiance en Dieu est infinie. Si le mois de Ramadhan s'en va, ses enseignements demeurent. Ils doivent continuer à orienter nos pensées et nos actes le reste de l'année. Et sa lumière doit continuer encore à illuminer notre vie et la réalité de notre quotidien si difficile, si tourmenté et si insoutenable parfois. Le Ramadhan nous quitte déjà et avec regrets pour certains. Celles et ceux qui ont su profiter de ce mois pour pardonner, se faire pardonner, donner et donner encore malgré tout. Celles et ceux qui sont allés puiser au plus profond de leurs cœurs la force de la patience, du courage et de l'endurance pour trouver la paix intérieure. Ceux-là auront sûrement un pincement au cœur au moment où ce mois de l'exil en soi nous quitte, car ils auraient aimé le garder un peu plus : "Si les gens avaient véritablement conscience de la bénédiction qu'il y a dans le fait de jeûner durant le mois de Ramadhan, ils souhaiteraient que l'année tout entière soit Ramadhan.(5)" A. G. Recteur de la mosquée de Villeurbanne et universitaire 1. 1 - Les affrontements de la semaine derniere ont fait 22 morts. 2. 2 - Rapporté par Bukhârî et Muslim. 3. 3 - Verset 40/60. 4. 4 - Rapporté par Bukhârî et Muslim. 5. 5 - Rapporté par Bayhaqi.