Notre pays est classé à la 128e position sur un ensemble de 167 pays. Il fait partie des Etats où la presse est confrontée à “des problèmes sensibles”. Les derniers coups de semonce de la justice intervenus suite aux procès en cascade de mercredi dernier — où 13 journalistes se sont succédé devant le juge — ont enfoncé davantage l'Algérie. En matière d'atteinte à la liberté des médias, notre pays a mauvaise presse. Cela ne relève plus du constat, mais constitue une évidence. Le classement mondial établi par Reporters sans frontières (RSF) pour l'année 2004 confirme cette certitude. Sur un ensemble de 167 Etats, l'Algérie occupe la 128e position loin derrière les démocraties européennes et des voisins continentaux comme le Mali (54e position), la Tanzanie (61e position) et le Togo (75e au classement). Les pays qu'elle devance, à l'instar de la Tunisie (152e position, la Chine (162e) ou la Corée du Nord (167e) sont connus pour être des dictatures où la censure est érigée en ligne de conduite. Selon le barème d'appréciation de RSF, les médias de ces pays connaissent une “situation difficile” ou “très grave”. Des Etats du Moyen-Orient, les monarchies du Golfe notamment, comme le Bahrein (143) et l'Arabie saoudite (158) sont des régimes totalitaires comme celui sévissant au Pakistan (150) et en Birmanie (165) épinglés par l'ONG de Robert Ménard. De son côté, l'Algérie fait partie des pays où la presse fait face à “des problèmes sensibles”. Le harcèlement judiciaire contre les médias privés n'est pas fait pour faire restaurer son image. Au début des années quatre-vingt-dix, l'avènement du pluralisme médiatique et la liberté de ton qui s'en est suivie ont hissé notre pays au rang de modèle. En dépit des velléités de musellement des autorités politiques en place, les journalistes ont réussi à faire échec aux tentatives de retour à la pensée unique. Les plus téméraires l'ont payé au prix de leur liberté. Si le correspondant d'El Youm, Hafnaoui Ghoul, doit sa liberté à la “mansuétude” du président de la république, qui lui a accordé une grâce dissimulée sous des artifices juridiques, le patron du Matin n'est en mesure de quitter la maison d'arrêt d'El-Harrach qu'en pareil cas. Dorénavant, l'avenir de la presse dite indépendante tient à la volonté du chef de l'Etat d'en faire ce qu'il souhaite. Dans une récente sortie médiatique, Abdelaziz Bouteflika a esquissé les contours du paysage médiatique qui convient à ses ambitions. S'il exclut le renoncement aux principes du pluralisme, le premier magistrat du pays exhorte les professionnels à l'objectivité dans le traitement de l'information. Cette objectivité fera-t-elle l'impasse sur toute critique à son égard ? Il est inutile de rappeler que c'est à cause du pamphlet qu'il a écrit, Bouteflika, une imposture algérienne, que Benchicou croupit derrière les barreaux depuis des mois. Le ministère public eut beau arguer de la violation de la législation douanière pour une sombre affaire de transfert illégal de bons de caisse à l'étranger, les motifs de l'incarcération étaient flagrants. Très sensibilisée, Reporters sans frontières a mené une vaste campagne pour la libération du directeur du Matin. Elle a tout aussi fait preuve de solidarité à l'égard de Hafnaoui Ghoul. Ce dernier s'est vu d'ailleurs décerner le prix du courage de cette organisation. Pour autant, ni le soutien de RSF à la cause des journalistes algériens, ni ses critiques acérées des autorités algériennes suffisent à préserver la liberté de la presse. Outre le code pénal, les pouvoirs publics ont le loisir de recourir à d'autres moyens plus sournois afin de faire pression sur les journaux indélicats. L'instrumentalisation des imprimeurs et des annonceurs publics entre dans cette logique. S. L.