Si vous saviez comme on angoisse parfois dans les rédactions ! Surtout dans l'intermède de deux années. Une fois expédiées les éditions rituelles consacrées aux bilans et perspectives, il reste à animer un contexte où rien ne se passe. On pourrait reconduire un de ces immortels slogans : “2005, année des réformes” ou, comme El Moudjahid d'hier, “2005, année de tous les chantiers” ; on pourrait annoncer comme Horizons “De grands chantiers pour 2005”. Mais on peut aussi livrer, comme Liberté, les mauvais présages de circonstance : “2005, la vie plus chère” ; on pourrait encore avertir, en même temps qu'El Khabar, “Des augmentations de prix pour la nouvelle année”. On pourrait enfin se réfugier dans le désastre enveloppant du tsunami, histoire de ne rien dire qui abuse ou qui fâche. N'ayant ni la candeur suffisante pour y croire ni la lâcheté nécessaire pour faire semblant d'y croire, nous éprouverions sûrement quelque malaise à proclamer l'année 2005, année des réformes : 2000, 2001, 2002, 2003 et 20004 le furent aussi, mais cela n'a rien arrangé. L'Algérie est, depuis toujours, au même point, avec quelques reculs sur les progrès qu'elle a un jour osés : l'école, l'entreprise, la presse, les libertés publiques. Seuls changent le prix du baril de pétrole, parce qu'elle n'y peut rien, et l'annuaire de la nomenklatura, parce qu'il le faut bien. Avec le temps, nous sommes de moins en moins nombreux à nous interroger sur ce que l'année sera. Les journaux en font une escale obligée que même un Nouvel An cataclysmique n'a pas pu leur éviter. Il a fallu sacrifier à l'exercice, si j'ose dire. Mais le reste, tout le reste s'accroche à l'oracle. L'armée d'attentistes qui tiennent lieu de classe politique en premier. Et en veulent aux journalistes d'avoir annoncé un changement de gouvernement qui n'a pas eu lieu. Ils font métier de patienter en espérant ou en redoutant un prochain mouvement dans un corps institutionnel, un prochain remaniement, une prochaine échéance électorale… La société se mure dans un superbe détachement et se pulvérise en autant d'individus qui répondent à la culture de l'opportunisme égoïste d'en haut par la culture de l'avidité individualiste d'en bas. Quoi qu'il arrive, la riposte est individuelle, au mieux communautaire. La nation ? Seule la personne ou la famille, au mieux le quartier ou le village existe ! On s'est soulevé dans un village de Boudouaou parce que l'électricité fut momentanément coupée ! Il n' y a plus de causes que concrètes et personnelles. La nation n'est plus une communauté si tant est qu'elle le fut. Et donc plus de cause commune. “Chacun se bat pour son grade”, comme l'exprime si justement la vox populi. Le pouvoir dont on attend qu'il agisse semble installé dans cet avantageux immobilisme : quelle meilleure manière de tenir tout le monde en respect en faisant attendre tout le monde ? Cela donne un monde aux aguets mais figé, un monde inoffensif. Rien ne s'y passe, mais tout le monde y attend. Et il faut faire de l'actualité avec cela et une épée de Damoclès judiciaire suspendue au-dessus de chaque table de rédaction. Et quand rien ne va tranquillement pour le pays, c'est que pour son régime, tout va bien. M. H.