Peu importe le qualificatif, migrants ou réfugiés, l'Humanité est face à une tragédie qui démontre que le monde vit une crise morale, où la vie humaine ne vaut rien devant les intérêts géostratégiques et économiques des grandes puissances. Le flux de réfugiés syriens aux frontières gréco-macédoniennes, la découverte de 71 corps sans vie dans un camion en Autriche et la mort de dizaines de personnes sont au centre des préoccupations des Européens, mais aussi de l'ONU depuis plus d'une semaine. Car, il ne se passe pas un jour sans que les médias annoncent la mort de dizaines de personnes, en tentant la périlleuse traversée de la Méditerranée ou de franchir les murs en barbelés qui poussent progressivement tout au long de la frontière est de l'Europe. Le nombre de morts, près des côtes libyennes, se compte par centaines, tandis que celui des personnes sauvées d'une mort certaine a dépassé les 300 000, selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), basé à Genève. Mais au-delà de cette comptabilité macabre, des images chocs, relayés par les médias traditionnels et les réseaux sociaux, beaucoup de questions restent en suspens. Chaque pays européen tente de sauver la face et d'éviter les critiques, alors que le HCR a demandé à l'Union européenne d'"accélérer et d'intensifier" ses efforts pour régler la crise de ces milliers de personnes qui fuient la mort dans leur pays d'origine pour finalement... mourir au bout d'un pénible voyage dans des embarcations de fortune ou les containers des camions que les réseaux de passeurs surchargent jusqu'à provoquer le pire. "Si nous menons une répression contre les passeurs, si nous protégeons les victimes et que nous mettons en place un système pour permettre aux réfugiés de demander l'asile dans la légalité, alors nous réussirons (à mettre fin à cette crise)", a déclaré, il y a trois jours, le chef du HCR, António Guterres, lors d'un point de presse conjoint avec le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, à Genève. La proposition émanant du chef du HCR est louable, mais elle est loin de répondre à la question du comment mettre fin à la crise, non pas seulement en Méditerranée et dans l'est de l'Europe, mais partout dans le monde, comme en Asie du Sud où des milliers de personnes tentent la même traversée vers l'Australie. Concernant la crise à laquelle est directement confrontée l'Europe, la mise en place du dispositif Frontex a montré ses limites, tout comme le récent plan qui a été adopté par Bruxelles et consistant à surveiller les bateaux en partance vers le Vieux Continent tout près des côtes libyennes. Pourtant, tout le monde s'est accordé à dire que la seule solution à cette crise est la stabilisation de la Libye, un pays en guerre et sans Etat depuis fin 2011. Les réseaux de passeurs trouveront toujours le moyen de contourner les systèmes de surveillance, mais le retour de la stabilité en Libye, la fin de la guerre en Syrie et du soutien occidental aux régimes dictatoriaux en Afrique et au Proche-Orient arrêteront cette folie meurtrière. Cela passe par le courage politique des dirigeants européens qui, jusqu'ici, jouent sur les mots et leur sémantique, pour ne pas se mettre à dos leurs gouvernés. Autrement dit, seules une décision politique ferme et une approche soutenant les processus d'une réelle démocratisation des pays africains, arabes et sud-asiatiques sont à même de mettre fin à une crise migratoire qui n'est plus engendrée par la recherche d'un travail pour vivre, mais par les guerres et l'instabilité sécuritaire chronique dans de plus en plus de pays d'Afrique et du Proche-Orient. Les Etats membres de l'Union européenne sont devant une responsabilité historique pour éviter que d'autres drames surviennent et pour empêcher la montée des extrémismes qui se nourrissent de ces migrants, souvent perçus comme des envahisseurs. L. M.