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"La LFC n'est pas à la hauteur des attentes"
M. C. BELMIHOUB, PROFESSEUR EN ECONOMIE ET MANAGEMENT, CONSULTANT, À "LIBERTE"
Publié dans Liberté le 09 - 09 - 2015

Le spécialiste, dans son analyse du texte, estime que le déficit budgétaire n'a pas été traité. Le texte, en outre, n'apporte pas de véritables réponses aux difficultés financières que connaît le pays actuellement avec la chute des prix du pétrole.
Liberté : La loi de finances complémentaire 2015 répond-elle aux attentes en termes de rationalisation des dépenses publiques, d'augmentation des recettes fiscales en vue de réduire le déficit budgétaire et en termes de promotion de la production locale ?
M. C. Belmihoub : La dégradation des indicateurs macroéconomiques et financiers au cours du premier semestre 2015, suite à la baisse vertigineuse des prix du pétrole, a laissé suggérer une intervention solide des pouvoirs publics pour anticiper les effets de la crise et juguler au moins les effets sur les fondamentaux de l'économie : inflation, retour à l'endettement et un seuil dans le déficit budgétaire. La LFC, instrument habituel d'intervention des pouvoirs publics en Algérie, n'a pas été à la hauteur de ces attentes. Ainsi, les budgets publics (fonctionnement et équipement) n'ont pas connu de réduction significative, par rapport à la LFI ; et pourtant le ministère des Finances a instruit ses contrôleurs financiers (début août 2015) placés auprès des ordonnateurs des budgets de l'Etat et des collectivités locales à l'effet de ne pas donner de visa d'engagement de la dépense sur des projets non encore lancés même si des opérations d'appel d'offres ont été lancées ; Il est vrai qu'en termes de dépenses, on a constaté une baisse au cours du premier semestre. Par ailleurs, le débat engagé depuis le début de la chute des prix de pétrole (mi-2014) sur une réduction de l'intervention de l'Etat en matière de niveau des subventions n'a eu aucun écho auprès du gouvernement. Alors si on ne touche pas aux subventions, au niveau de vie de l'Etat et à l'efficience de la commande publique, on ne peut parler de rationalisation de la dépense publique. Au niveau des recettes fiscales, la situation est plombée, l'assiette fiscale n'est pas extensible pour le moment en raison du niveau d'activité et de l'incapacité de l'administration fiscale à l'élargir aux secteurs traditionnels d'évasions fiscales (transactions informelles, sous-déclarations...). La LFC n'a pas donc apporté d'innovations significatives hormis quelques amendements dans le domaine de la fiscalité sur le patrimoine ou foncier. En un mot, le déficit budgétaire, problème central aujourd'hui, n'a pas été traité par la LFC. La baisse des recettes de la fiscalité pétrolière (autour de 40% sur le 1er semestre) sera encore une fois supportée par le Fonds de régulation des recettes qui a été largement entamé déjà en 2014. Au sujet de la promotion de la production nationale dans le cadre de la substitution aux importations, la LFC a apporté quelques éléments : la différenciation de l'IBS et de la TAP selon le type d'activité (production, services, BTP, importations). Ici aussi des maladresses ont été commises. L'IBS, impôt sur le revenu, est un instrument efficace lorsqu'il s'agit d'encourager l'investissement en incitant au réinvestissement des bénéfices, et dans ce cas il faut aller plus loin en réduisant davantage l'imposition de la part des bénéfices investis (5 à 10% ). La révision de la TAP, qui grève sérieusement l'activité des entreprises productrices de biens et services tant au plan des coûts qu'à celui de la trésorerie (fonds de roulement) n'a pas été à la hauteur des attentes des entreprises, surtout lorsqu'on a fait jouer les taux de réfaction et l'assimilation de certains services à des activités d'importation. Au final, on va limiter certainement les importations, mais rien ne garantit la promotion de la production dans le contexte actuel du climat des affaires, du moins à court terme.
L'augmentation des taxes sur le foncier et les véhicules neufs pénalise les ménages. Le gouvernement veut puiser dans la poche des citoyens pour résorber le déficit du budget. Cette orientation est-elle justifiée dans le contexte actuel ?
Sur le foncier, il y a encore des réserves de plus-value et il faut les taxer, mais ici aussi il faut que l'administration fiscale se modernise et se donne les moyens d'asseoir un impôt juste, en fonction de la valeur réelle du patrimoine foncier en instaurant une différenciation spatiale et financière. La taxe sur les véhicules neufs est une variable d'ajustement, pas une variable d'action. Le jour où l'Algérie devient producteur de véhicules, cette taxe sur les véhicules neufs importés aura un sens (tant que l'adhésion à l'OMC n'est pas effective). Aujourd'hui elle n'a pas d'impact sur la politique industrielle, au contraire elle encourage les transactions sur le marché parallèle qui ne sont pas fiscalisées. Ici aussi on a cherché la facilité, alors que le vrai problème est celui des prix des carburants.
La disposition instituant une taxe de 7% pour drainer l'argent de l'informel vers les circuits bancaires est-elle suffisamment attractive ou susceptible de permettre que cette manne soit utilisée pour financer les investissements publics et privés ?
Il s'agit d'une disposition visant le blanchiment d'une fraude fiscale moyennant un impôt libératoire de 7%. La disposition est très opportune. Il reste à en préciser la finalité. S'agit-il de lutter contre le secteur informel en tarissant les sources informelles de financement ? Ou de renflouer la trésorerie des banques dans une perspective de financement de l'économie ? Ou encore de faire des nouvelles recettes fiscales indispensables pour financer la dépense publique ? En fonction de chaque finalité, on peut apporter des appréciations sur le taux qui a été fixé. Pour rester concret, le taux de 7% peut paraître soit trop bas soit trop élevé. Si l'objectif est d'encourager l'investissement par l'argent informel, il eut été indiqué de fixer un taux autour de 3-5 %, à charge pour le déposant de réaliser un investissement en financement propre dans un délai réaliste. Si au contraire, la finalité est liée aux recettes fiscales, un taux d'imposition plus élevé (15-18%) serait justifié. Avec ce taux, les "fraudeurs" qui veulent se "réhabiliter" grâce à une activité industrielle vont trouver la taxe d'entrée très élevée, surtout que le climat des affaires est très mauvais et les opportunités dans l'informel sont encore nombreuses. Ce taux est attractif pour ceux qui veulent, au contraire, "blanchir" leur argent par une bancarisation, et s'engager dans des activités de spéculations foncières, immobilières ou d'importation. Au final, 7% c'est beaucoup pour l'investisseur potentiel, c'est peu pour le Trésor public ; c'est peut-être le taux qu'il faut pour le spéculateur informel.
Pensez-vous que les mesures de la LFC vont favoriser une plus grande dynamique de la sphère réelle (entreprises) et donc la création d'un plus grand nombre d'emplois et de richesses ?
Dans la conjoncture actuelle, caractérisée par le passage de la quasi-totalité des agrégats économiques au rouge, la LFC 2015 est restée en deçà des attentes. La LFC 2015 devait amorcer un processus de réformes des finances publiques et donner les prémices d'une politique industrielle orientée sur la diversification de l'économie et la promotion des exportations, rien n'en a été. Il faut espérer que la loi de finances 2016 apporte des réponses à l'ensemble des problèmes induits par la chute des prix du pétrole (mais aussi la baisse de la production des hydrocarbures et l'augmentation de la consommation intérieure d'énergie). Le moment d'engager des réformes sérieuses, sous contraintes, est arrivé. Mais quant on a gouverné pendant plus de 15 ans par la dépense publique, il sera difficile de passer à autre chose. Ne rien faire est la pire des décisions.
K. R.


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