Dans cet entretien, à bâtons rompus, le chef du Mouvement de la société pour la paix, (MSP), Abderrezak Makri, livre son analyse et sa position quant à toutes les questions d'actualité, dont la crise économique qui menace le pays, le projet de la révision constitutionnelle, l'affaire du général Hassan ou encore le retour sur la scène de Madani Mezrag. Pour lui, la situation actuelle rappelle, à bien des égards, celle qui avait précédé octobre 88. D'où sa crainte d'une explosion imminente. Liberté : Comment analysez-vous la situation que traverse actuellement le pays ? Abderrezak Makri : La situation est tout simplement très inquiétante. Aujourd'hui, nous faisons face à un pouvoir politique qui déclare clairement son échec, mais il refuse de l'assumer et de prendre ses responsabilités pour laisser la place à un véritable changement. Logiquement, le pouvoir devait nous dire : voilà que j'ai échoué pleinement et fait de l'Algérie, qui, il n'y a pas si longtemps, était un pays d'opportunités et d'aisance financière extraordinaire, un pays pauvre ; un pays qui sera bientôt contraint de recourir à l'endettement extérieur. En d'autres termes, un pays de tous les risques et de toutes les inquiétudes. Malheureusement, les décideurs ne veulent rien entendre de cette logique. Ils veulent, au contraire, continuer à gouverner. Ils appellent le peuple à la solidarité et à serrer la ceinture alors que ce sont eux les premiers et seuls responsables de la situation actuelle. Ce sont eux qui ont créé un réseau de corruption extraordinaire et des hommes d'affaires très proches du pouvoir qui se sont enrichis sur le dos des Algériens. Se retourner aujourd'hui vers ces derniers, est une injustice. Le pouvoir n'a pas tenu compte des signaux d'alarme envoyés régulièrement et depuis plusieurs années, par l'opposition. Il n'a pas tenu compte de l'opportunité que lui donne l'opposition sage et responsable qui a su analyser la situation et prévenir l'arrivée de la crise. L'évolution des événements a fini par confirmer le bien-fondé de cette analyse. Aujourd'hui encore, l'opposition est en train de leur tendre la main pour accepter d'aller vers une transition démocratique négociée et inclusive, qui englobe toutes les forces politiques, pour faire face à la situation de catastrophe et de chaos qui menace l'Algérie. À ce rythme, le pays va droit vers la ruine et la faillite. La paupérisation risque de s'accélérer davantage dans les années à venir.
À vous entendre, c'est une chronique d'un chaos annoncé ? L'actuel pouvoir politique est très dangereux pour le pays ! Nous, en tant qu'opposition, nous avons la conscience tranquille. Nous avons prévu cette situation économique et sociale qui affecte désormais le pays. Aujourd'hui encore, nous prévoyons que la situation va s'aggraver. Nous leur avons tendu la main et leur avons proposé un projet politique réfléchi et consensuel, mais ils refusent toujours de nous entendre. Ils préfèrent poursuivre leur fuite en avant pour accaparer le pouvoir politique et tout le luxe et les privilèges qu'il leur offre. C'est quoi la solution, alors ? Je répète que le pays risque d'aller vers des situations très difficiles, sauf si le pouvoir accepte de devenir raisonnable pour (enfin) prêter attention à ce que l'opposition réclame, à savoir une transition démocratique qui, jusque-là, reste la seule et unique solution possible pour sortir de la crise. Le pouvoir doit s'ouvrir à la négociation avec l'opposition et toute la classe politique pour éviter à notre pays l'embrasement et l'explosion sociale. Avez-vous l'espoir de voir ce même pouvoir accepter l'offre de l'opposition ? Malheureusement, non ! Je ne le pense pas, parce que c'est une question de pouvoir et de privilèges. Les gens qui sont au pouvoir n'accepteront jamais que d'autres soient avec eux. Cela va remettre en question l'art de la corruption et va mettre en exergue ces dossiers flous que le pouvoir cache toujours. Ils n'accepteront pas que l'opposition puisse avoir accès aux grands dossiers de corruption. Dans ce cas de figure, l'opposition a-t-elle (encore) un rôle à jouer ? Si c'est le cas, comment doit-elle agir ? Bien sûr que l'opposition à un rôle à jouer. C'est le moment de l'union de toute la classe politique, la situation que traverse notre pays nous interpelle pour essayer de faire ce que nous pouvons afin de convaincre le pouvoir en place d'accepter la transition démocratique. Vous parlez d'union alors que tout le monde aura remarqué que même la Coordination pour les libertés et la transition démocratique, (CLTD), que vous formez avec d'autres partis, (RCD, Jil Jadid, Ennahdha et Islah) et des personnalités politiques, censées incarner cette "union sacrée", donne des signes d'essoufflement. La situation est normale au sein de la CLTD. Et comme tout le monde le sait, c'est, malheureusement, toute la société algérienne qui a tendance à ne pas travailler durant le mois de Ramadhan et durant l'été, notamment le mois d'août. Voilà qui a, quelque part, freiné les activités communes des membres de la CLTD. Cela dit, séparément, aucun des partis composant notre Coordination n'a arrêté d'activer durant cette période. Personnellement, j'ai animé des rencontres dans 14 wilayas. Comme nous, les autres partis ont également tous organisé des conférences, des campings, des universités d'été, etc. Devons-nous comprendre que vous allez renouer avec vos activités communes, maintenant que cette période est passée ? Effectivement, nous allons bientôt relancer notre travail en commun. D'ailleurs, nous avons déjà tenu une réunion tout récemment et nous nous sommes mis d'accord pour arrêter très prochainement un riche programme d'activités à mener ensemble sur le terrain. Nou organiserons des sit-in, des meetings et des travaux de proximité avec la société civile. Pour commencer, il a été convenu que c'est le MSP qui mènera la première activité de la CLTD qui consiste en des rencontres de proximité avec les citoyens. Avez-vous fixé l'échéancier de ces activités ? Non. Nous n'avons pas encore arrêté la date de lancement de nos activités, ni le ou les lieux où nous allons les tenir. Nous allons nous réunir prochainement pour arrêter un programme bien défini, mais avec beaucoup de flexibilité. C'est-à-dire que les activités seront menées selon la disponibilité de chaque parti et les moyens dont il dispose. Néanmoins, je peux vous confirmer que la première activité, qui est l'organisation des rencontres de proximité que le MSP est chargé de mener, ne saurait tarder. Ce sera fait juste après mon retour de Malaisie dans une semaine. Disons que cette activité sera lancée d'ici à une dizaine jours. Le fait d'avoir honoré, récemment, l'invitation du chef de cabinet de la Présidence, Ahmed Ouyahia, n'a-t-il pas eu un effet sur votre relation avec le reste des membres de la CLTD ? C'est déjà une page tournée. Ma rencontre avec Ouyahia était une action politique banale. Et c'était un choix personnel. J'ai déjà expliqué sur quoi a porté notre rencontre... Justement, vous y aviez abordé, notamment, le projet de la révision de la Constitution. Aujourd'hui, selon les informations qui circulent, ce projet serait déjà finalisé et le président Bouteflika serait favorable pour le faire adopter par voie parlementaire. Quelle est votre position par rapport à cela ? Et que pensez-vous du contenu de la future Constitution ? S'ils veulent faire passer la Constitution à l'APN, ils ont leurs députés qui sont majoritaires. Tout le monde le sait. S'agissant du contenu, malheureusement, nous ne le connaissons pas encore. Nous n'avons vu que la plateforme qui a été envoyée à tous les partis politiques par Ouyahia, et qui constitue une autre aberration constitutionnelle. D'après cette mouture, cette Constitution n'est ni celle d'un régime présidentiel ni celle d'un régime semi-présidentiel et encore moins parlementaire. Quand une Constitution consacre le système présidentiel, c'est au Président qu'il appartient de gouverner le pays, c'est donc lui le chef du gouvernement. Quand elle consacre un régime semi-présidentiel, le gouvernement est choisi parmi la majorité parlementaire, et enfin, dans un régime parlementaire, c'est à la majorité qu'il appartient de former le gouvernement. Or, une disposition de la mouture qui nous a été remise stipule que c'est le président de la République qui installe le gouvernement et peut choisir la composante même parmi une minorité infime. Autrement dit, même quand un parti a la majorité absolue, il ne peut pas former le gouvernement. C'est une aberration qui n'existe dans aucun pays. C'est un article propre à l'Algérie. Changeons de sujet : quelle est votre analyse quant à l'affaire du général Abdelkader Aït Ourabi dit Hassan, actuellement incarcéré à la prison militaire de Blida ? Que dit, selon vous, cette affaire ? Cela nous inquiète doublement. Premièrement, ce qui se passe actuellement au sommet de l'Etat peut provoquer un désordre dans la société. Cela nous rappelle un peu les mêmes ingrédients qui ont fait exploser la situation en octobre 1988 lorsqu'il y avait également des problèmes économiques et sociaux et une lutte intense entre les clans du pouvoir. Ces luttes avaient trouvé un terrain propice dans les problèmes que vivait alors la société. Ce qui avait provoqué l'éclatement et tout le monde était dépassé par l'événement. Malheureusement, la situation est actuellement beaucoup plus grave du point de vue économique et social. Deuxièmement, nous sommes inquiets parce que cela peut aussi affaiblir l'Etat algérien. Ce dernier peut perdre son immunité face aux velléités des forces régionales et internationales. C'est dommage. Aujourd'hui, au lieu que les responsables travaillent ensemble, ils se livrent la guerre. Et cela se fait au détriment de l'Algérie et de l'Etat algérien. Et quelle est votre position quant à la réapparition de Madani Mezrag sur la scène nationale et son annonce de création d'un parti politique ? Il s'agit, là aussi, de l'une des spécificités de la situation qui prévaut actuellement au sein du pouvoir politique. C'est-à-dire qu'il y a une opacité totale, et l'on n'arrive plus à suivre, ni à comprendre. D'un côté, Madani Mezrag dit que tout ce qu'il fait, il le fait avec l'accord de l'armée, et de l'autre, le Premier ministre, Sellal, déclare que Mezrag n'allait pas avoir son parti politique. Aujourd'hui, on ne sait pas avec qui Mezrag coordonne. Ce qui est un autre indice des problèmes sérieux qui affectent le sommet du pouvoir politique.