Les deux Chambres ont joué leurs rôles respectifs. L'esprit constitutionnel est respecté, la démocratie en pâtit. Le gouvernement a préféré laisser faire pour ensuite agir. À l'issue de son dernier conseil tenu à la fin de la semaine dernière, il a chargé “l'opérateur Naftal de porter à l'attention du public les nouveaux prix aux consommateurs des différents carburants, prix qui entrent en vigueur à partir du 1er janvier”. Par le moyen d'un décret exécutif, juridiquement légal, politiquement incorrect, l'Exécutif rappelait le Parlement à son apprentissage balbutiant de l'exercice démocratique. Il lui signifiait, de manière à la fois réglementaire et humiliante, les limites de son (in)utilité existentielle. Le décret “portant fixation des marges de distribution et des prix des produits pétroliers” était présenté par le ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, et faisait part du “souci de préserver le pouvoir d'achat des citoyens”. Aux élus de la nation, il est souligné que “le gel des marges des prix depuis 1998, conjugué à l'augmentation des charges d'exploitation, a eu pour effet la dégradation de la qualité du service de distribution des carburants et du GPL, le manque d'attractivité aux nouveaux investisseurs et la difficulté pour les opérateurs de mettre à niveau leurs infrastructures pour se conformer aux normes”. Que les parlementaires se soient opposés à cette disposition de la loi de finances n'a désormais plus aucune importance. L'impertinence du pouvoir rend pleinement sa fierté au ministre des Finances, et pas seulement ; elle donne également la preuve que les prérogatives du Parlement sont susceptibles de violation dès lors qu'on le juge incapable de comprendre ni de suivre la cadence des réformes engagées par le président de la République. Abdelaziz Bouteflika avait pourtant suggéré, en rendant hommage devant les députés à Rabah Bitat, de s'élever au diapason des exigences des engagements internationaux du pays, devenus inéluctables après les processus d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et d'association avec l'Union européenne (UE), à commencer par l'incontournable révision des lois. On croyait le FLN “redressé”, le RND dompté, les islamistes assagis, mais l'“effronterie” a été telle que la disposition sur l'interdiction des boissons alcoolisées a de nouveau été rejetée, de même bien sûr que celle relative à la hausse des prix des carburants. Le gouvernement est donc en train de répliquer, étant entendu que le chef de l'Etat acquiesce par le sourire. Et par le silence. Qui l'empêchera, maintenant que le pouvoir législatif entre en intersession, de légiférer par ordonnance d'autant qu'on lui prête cette intention, notamment par rapport au code de la famille ? Osez contrarier ma volonté et la dissolution est prononcée, semble-t-il dire. Exit alors les privilèges, exit les gros salaires, retour aux occupations contraignantes, au rang ordinaire ! Pourquoi partir d'ailleurs puisque la révision constitutionnelle est plus que jamais en marche ! Depuis le temps qu'il y songe, le Président ne saurait en retarder l'échéance. La révision pourrait concerner la Chambre haute, cet “encombrant” Conseil de la nation que M. Bouteflika abhorre. Le ministère chargé des Relations avec le Parlement avait organisé, début décembre 2004, un séminaire sur l'article 120 de la Constitution, qui régit les relations entre l'Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation et définit leurs relations fonctionnelles avec le gouvernement. Les conclusions des participants, juristes et hommes politiques, recommandaient ceci : “Adaptation des lois appliquées à la conjoncture en cours afin que les institutions constitutionnelles puissent mieux appréhender, débattre et voter des lois” (…) d'autant que “le spectre de la crainte de l'instabilité politique dans le pays relève du passé”. Dès lors, étaient grandes ouvertes les portes de la révision constitutionnelle. En attendant le moment propice, les présidents des deux Chambres du Parlement se libèrent pour les besoins du prochain sommet de la Ligue arabe, prévu début mars à Alger. Abdelkader Bensalah et Amar Saïdani rempliront leurs missions protocolaires et apporteront leur obole à la préparation et la réussite diplomatique de ce rendez-vous politique régional. Peut-être faudra-t-il penser à remplacer les fauteuils de l'Assemblée et du Conseil par des strapontins ? L. B.