Les résidents de ce méga-bidonville sont prêts pour le jour J de la "rahla" et attendent depuis des années leur transfert vers de nouveaux logements. Hay Erramli, ce méga-bidonville de la capitale, porte mal son nom ces dernières années, du fait qu'il ne reste pas grand-chose des dunes de sable qui longeaient autrefois un cours d'eau qui débouche sur oued El-Harrach et qui s'en trouve aujourd'hui tari. Et pour cause, les pilleurs de sables sont passés par là. Actuellement, l'endroit est utilisé par les camionneurs pour le déchargement à la sauvette des déchets. C'est ainsi que des montagnes de détritus ont pris forme à la place du sable, notamment à la limite de la zone d'activité dite Biotic de Semmar, où est situé le plus ancien et gigantesque gourbi d'Alger. Ici, le visiteur patauge au milieu d'une décharge sauvage à l'état marécageux. Les baraques sont entourées et "ornées" de détritus. Des tonnes d'ordures en tout genre longent impunément l'affluent depuis Semmar jusqu'au lieudit la Prise d'eau à El-Harrach. Une enfilade de baraques à perte de vue. Le gourbi s'étend du sud de Baraki à la partie dite zone Biotic de Semmar pour s'étendre à la Prise d'eau à l'est et jusqu'à Aïn Naâdja au Gué de Constantine. C'est dire l'immensité d'un site qu'Alger traîne tel un boulet au pied. Notre arrivée dimanche sur les lieux n'est pas passé inaperçue. Notre "incursion" a vite suscité la curiosité des résidents du gourbi qui se sont montrés très accueillants et aimables. Une manière de battre en brèche le cliché qui colle à ces jeunes de Semmar et Hay Erramli notamment, réputés pour être agressifs et bagarreurs. Au contraire, ils nous ont donné l'image de jeunes très réceptifs, ouverts et chaleureux. Pour faciliter le contact, on a décliné notre identité. L'objet de notre virée se résume à prendre le pouls de Hay Erramli avant la "rahla" dont on parle avec insistance, pour demain mercredi. El-Ouafi, la quarantaine entamée, chômeur, s'est vite proposé de nous servir de guide et de nous accompagner durant notre voyage qui est loin d'être une sinécure à l'intérieur de Hay Erramli. El-Ouafi qui est universitaire, titulaire d'une licence en sciences de l'éducation physique, affirme n'avoir jamais bénéficié d'une fiche de paie à ce jour. Pour gagner sa croûte et celle de sa petite famille, il se débrouille comme il peut dans la récupération de la ferraille et autres objets qu'il revend. "Toutes les conventions passées entre l'enseignement supérieur et autres ministère n'ont jamais été appliquées. L'emploi des jeunes, c'est du vent ! Par la force du temps, je suis devenu un chômeur expert et titulaire d'un diplôme universitaire", déplore El-Ouafi. Notre curiosité est vite attirée par l'ouverture ou l'aménagement d'une piste tout au long de l'oued et l'installation de projecteurs à l'entrée du site. Notre guide du jour expliquera sans détour que cette piste vient tout juste d'être aménagée. "Nous, les locataires de Hay Erramli, nous sommes aussi posé la question sur l'utilité de cette piste. Et parallèlement à cette piste, des engins étaient également à l'œuvre pour pousser les détritus vers l'affluent. La rumeur la plus répandue à cet effet est liée à la ‘'rahla'', mais officiellement aucun locataire n'a été contacté. On raconte que cette piste devrait permettre aux camions d'accéder au site pour transporter les affaires des locataires dans le cadre du relogement. Ce qui reste évidemment à vérifier", lancera timidement El-Ouafi. Durant notre tournée intra-muros de Hay Erramli, rien ne présage qu'une "rahla" se profile à l'horizon. Aux abords des gourbis tout paraît se dérouler normalement. À notre question si les sans-logis sont prêts pour le jour J de la "rahla", Rafik, la trentaine largement entamée et père d'une fille d'une année, rétorquera sans ambages : "Nous attendons avec impatience le jour de notre indépendance. Nos ballots sont noués déjà depuis trois années. D'ailleurs, depuis le mois de juin, le wali Zoukh ne cesse de répéter que ‘'rahla'' de Hay Erramli interviendrait dans quelques jours, mais à ce jour ce n'est que des promesses en l'air. L'attente a trop duré. Zoukh nous a promis le relogement avant Ramadhan, mais en vain..."
Un nid de microbes L'image hideuse de Hay Erramli est confortée par des taudis érigés carrément aux abords de l'oued. La moindre parcelle disponible est squattée et occupée par des gens qui n'attendent qu'une éventuelle "rahla" pour revenir sur les lieux dans l'espoir d'être dans le lot d'heureux bénéficiaires. À l'entrée du baraquement, les canalisations d'égouts ruissellent jusqu'à l'oued. Faute de réseau d'assainissement, tout est déversé directement dans l'oued. Des enfants, des femmes, des hommes survivent au quotidien avec le risque de contracter une maladie consignée dans le registre de la santé publique. Un trentenaire avec une barbe assez fournie s'appuyant sur une canne, étant blessé au pied gauche, nous prend à témoin pour relater les cas de maladie qui menacent les enfants de ce méga-bidonville. Son métier est portefaix au service des grossistes de Semmar : "Je peux vous dire et sans le risque de me tromper que la moitié des enfants élevés dans ce grand taudis de la capitale sont asthmatiques, sinon souffrant de complications respiratoires. Il ne faut pas aller loin pour chercher la raison, nous vivotons au milieu d'une décharge sauvage et nous respirons des odeurs nauséabondes et les fumées qui se dégagent des feux qui s'allument à longueur de journée." À l'exception de l'électricité, aucun branchement n'est assuré à ces malheureuses familles parquées dans ce "lotissement" précaire à ciel ouvert. Plusieurs gourbis ne sont pas branchés à l'AEP : «On s'approvisionne comme on peut." "On a patienté depuis 1962, j'espère que cette fois-ci c'est la bonne, mais il faut être réaliste, il y aura des victimes, c'est-à-dire des exclus de la future ‘'rahla''", soutiendra encore notre accompagnateur. Et de poursuivre avec regret : "Selon mes informations, les autorités ont établi la liste des bénéficiaires sur la base du recensement de 2007. Et cela est inacceptable. Il y a des gens qui se sont mariés entre-temps et ils sont devenus des papas. On dit que ces gens sont exclus. Et là, je profite de la tribune de Liberté pour interpeller Bouteflika qui a martelé à maintes occasions que l'accès au logement est un droit constitutionnalisé pour tout un chacun. Le président de la République devra alors intervenir." Poursuivant notre périple à l'intérieur de Hay Erramli avant d'être apostrophé par un octogénaire qui a d'abord demandé le nom de l'organe pour lequel nous travaillons et du coup de se confier à nous : "Votre canard, je le respecte beaucoup. J'espère qu'il sera entendu cette fois-ci. J'ai 85 ans, l'Etat ne m'a rien donné depuis l'indépendance et je survis dans un gourbi. Mon épouse est une fille de chahid. J'espère que cette fois-ci, Bouteflika va nous transférer dans des logements décents." Au sujet de la date de la "rahla", notre interlocuteur assure ignorer le jour du départ vers la nouvelle cité. "Pour le moment, rien n'a filtré sur cette ‘'rahla'', des rumeurs qui circulent par-ci, par-là font état qu'une nouvelle opération interviendra dans les tout prochains jours, mais officiellement personne ne nous a contactés pour nous demander de nous préparer pour ce grand jour qu'on attend depuis 1962", fulminera l'octogénaire. Relayé par son voisin, un homme de 39 ans, qui dira : "Hier samedi, nous avons reçu la visite d'une délégation de la circonscription de Bir Mourad Raïs escortée par des éléments de la Gendarmerie nationale. Ces cadres de la wilaya déléguée sont venus juste pour sillonner les gourbis et y prendre la température, sans plus, ils n'ont adressé la parole à aucun locataire. Mais j'ai entendu l'un d'eux qui parlait au téléphone sur les opérations de relogement." "Il faut débusquer les faux résidents" Voulant connaître le nombre d'occupants de ce méga-bidonville, les sans-logis ont des estimations contradictoires, d'autant que les délégués des sept carrés de Hay Erramli étaient absents lors de notre passage. Notre guide universitaire a avancé des chiffres proches de la réalité et des estimations avancées par les autorités de la wilaya d'Alger. "On raconte qu'ils sont 5000 familles. Reste à savoir si vraiment ces 5000 familles méritent toutes d'être relogées. N'y aurait-il pas des opportunistes et de faux demandeurs de logements parmi ce lot ? La question mérite d'être posée", s'insurgera El-Ouafi, avant d'être relayé par un certain Miloudi qui n'a pas fait dans la dentelle quand il a soulevé la question de la distribution des logements : "Nous exigeons que les autorités compétentes ouvrent des enquêtes sérieuses sur les véritables demandeurs de logement. Il existe beaucoup de faux demandeurs. Ils ont laissé leurs villas et leurs biens et sont venus passer quelques nuits à Hay Erramli pour bénéficier d'un logement pour le revendre après. Pour moi, si les services compétents se taisent et ferment les yeux devant ces graves dépassements, cela veut dire que les autorités seraient complices." Et de poursuivre : "Je suis prêt à aider les autorités pour débusquer les faux demandeurs. Au total, ce sont 2000 à 2500 familles qui méritent d'être relogées à Si Mustapha, à Hammadi ou ailleurs." À propos des sites d'affectation, des pères de famille s'interrogent sur les lieux d'affectation pour des gens qui travaillent aux alentours de Semmar, Baraki, Birtouta, Douéra. Si ces derniers sont relogés à Si Mustapha, ils doivent faire chaque jour 70 km pour y arriver. Soyons sensés. Nos aimables guides nous ont appris par ailleurs que des agents d'Extranet et de Netcom ont affirmé qu'ils sont mobilisés pour une grande opération pour demain mercredi. Un revendeur de cigarettes qui exerce ce métier depuis 1990 nous confiera que "les autorités ne s'attelaient pas à nous reloger pour nos beaux yeux, mais pour récupérer des assiettes de terrains et parachever les chantiers ouverts, dont la mise en valeur d'oued El-Harrach et la réalisation du viaduc d'Oued Ouchayah devant relier la route moutonnière à la deuxième rocade sud". H. H.