Résumé : Nardjesse confie à sa voisine qu'un commerçant s'intéressait à elle. Il lui écrivait des poèmes d'amour, et elle aimerait en faire autant. Cet homme avait des intentions sérieuses, mais sa famille s'oppose à son mariage avec une divorcée, mère de deux enfants de surcroît. Nawel est offusquée. Le premier mari de sa voisine était un psychopathe. Nardjesse soupire encore : -Les gens ne peuvent pas comprendre ces choses-là dans notre société. Ils accusent et tendent leur index, sans chercher à comprendre la réalité. C'est toujours la femme qui est prise à partie. -Et ce jeune homme dont tu parles, ce commerçant, t'aime-t-il assez pour prendre son courage à deux mains et faire fi du refus de sa famille ? Il n'a qu'à venir demander ta main, t'épouser et t'emmener vivre loin d'ici. -Eh bien, figure-toi que c'étaient bien ses intentions. Mais tout compte fait, c'est moi qui me suis opposée à cette alternative. Nawel fronce les sourcils : -Je suis hors circuit. Tu aimes cet homme et il t'aime. Vous voulez vous unir et vivre ensemble. Sa famille est contre vos projets. Il propose une solution logique, et c'est toi qui t'y opposes ? Nardjesse baisse les yeux : -Mes parents sont trop conservateurs pour accepter d'accorder ma main à un homme qui se présente sans ses parents. -Mais tu devrais raconter à ta mère les dessous de toute cette affaire. Elle sera heureuse de savoir qu'il y a quelqu'un qui s'intéresse à toi, et cela la motivera pour en parler à ton père. Tu ne trouves pas ? Nardjesse lève les yeux vers elle : -Tu crois que c'est la meilleure issue ? -Meilleure que ça, je n'en vois pas. Nardjesse met la main dans son corset et retire une feuille pliée en quatre : -C'est le dernier poème que j'ai reçu. Je ne saisit pas bien le fond des mots, mais je sais qu'il parle d'amour. Nawel déplie la feuille et lit : Si j'étais une rivière tu seras mon eau. Si j'étais la lune, tu seras mon soleil. Si j'étais une feuille, tu seras ma plume. Ton amour est si doux dans mon cœur. Que désormais il ne bat que pour toi. Veux-tu devenir mon éternelle lumière Et guider mes pas vers ton âme ? La jeune femme demeure abasourdie. Le style d'écriture poétique lui plut. L'homme utilisait la prose pour éviter la rime et rehausser le poids de ses mots. -C'est ce commerçant qui écrit comme ça ? -Oui. Tu n'as pas aimé ? -Si je n'ai pas aimé ? J'ai adoré. D'ailleurs je vais en faire une copie et la garder chez moi, si tu ne vois pas d'inconvénient. -Pas du tout. Mais explique-moi tout d'abord le sens de ce poème. Nawel se dit que sa jeune voisine avait une chance inouïe de rencontrer un homme aussi romantique. De nos jours, personne n'exprime plus ses sentiments de cette manière. Pour ne pas dire que personne ne croit presque plus aux sentiments. Le matérialisme a rouillé les âmes, et les gens ne voient plus que leurs intérêts. De ce fait, le romantisme ne trouvait que rarement sa place. Dans ses feuilletons pourtant, elle trouvait toujours le moyen de démontrer que l'être humain est fait pour aimer et être aimé. -Alors, tu m'expliques, Nawel ? -Oui... Oui, bien sûr que je vais t'expliquer. Ce... Comment s'appelle-t-il déjà ? -Mustapha. -Ce Mustapha est un romantique. On voit qu'il aime la poésie et les belles histoires d'amour. Et puis on voit surtout qu'il est cultivé. Ce n'est pas permis au premier venu d'étaler de tels vers pour parler d'amour et d'attirance envers sa dulcinée. Il veut t'attacher à lui par tous les moyens et te demander d'être sa lumière pour guider ses pas vers ton âme. As-tu compris le message ? -Il refuse donc mon opposition et insiste pour venir demander ma main ? -Oui, tu as saisi le fond de sa pensée. Fais comme je te l'ai dit tout à l'heure. Parles-en à ta mère et insiste sur le fait qu'il est célibataire, riche et indépendant. Ses parents sont vieux jeu, sinon pourquoi s'opposeraient-ils à ce mariage ? -Je crois que c'est beaucoup plus les enfants qui les dérangent que mon divorce. Ils n'admettent pas que leur fils élève les enfants d'un autre. -Et lui, qu'en pense-t-il ? -Il est prêt à tout pour m'épouser. D'ailleurs, il avait justement insisté pour que je lui présente Abla et Naïm. Il les adore et les comble de cadeaux. Nardjesse secoue la tête : -Notre société vit encore dans les tabous. Nous n'allons jamais nous en débarrasser. -Je te le répète encore. Prépare ta maman, et la suite viendra plus facilement. (À suivre) Y. H.