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Carrefour des solitudes
Mariage
Publié dans Liberté le 05 - 09 - 2005

Pour le meilleur et surtout pour le pire, des milliers d'Algériens se sont mariés cet été. Ils ont hypothéqué leur passé pour s'aménager un avenir. Des solitudes se sont unies pour imaginer des familles. Combien coûte l'amour au pays de la réconciliation ?
Notre collaborateur a tenté de savoir.
Le mariage est la dernière solution quand on n'a pas d'avenir.”
La sentence est terrible comme celle qui suit : “Nos avocats sont plus spécialisées dans les affaires civiles, notamment le divorce, que dans celles afférentes aux relations internationales.” Les chemins montent, l'herbe baisse. Il fut un temps où le vert envahissait les sentes. Aujourd'hui, les champs refusent de suivre les hommes. Ils ont compris la corruption.
Ce jour est jour d'agapes.
Des festoyades qui rappellent les repas funèbres. Triste ! Nous parlons de mariage, ce père séparé, et certainement déchiré, assène des mots qui assomment : “Toutes les mères, tous les pères savent que leurs enfants vont finir divorcés.” Les chemins continuent de monter, les klaxons se jettent à l'assaut de l'échelle des décibels. Les plus malins qui se prennent pour les plus beaux sortent la tête par la fenêtre. Ils savent, ils rêvent d'être les prochains. Mariés !
Imaginez le statut, c'est mieux qu'un diplôme. C'est pire ! On monte toujours, les figues taquinent, celles de Barbarie sont déjà là qui rient, tout est vert autour des voitures.
Le cortège se love dans l'innocence. les innocents dont Saïd sont dans une Mercedes. Ils sont attendus. Ils sont le nœud. Ils étouffent sous les fleurs. Combien vaut une fleur en Algérie ?
Combien coûte un mariage ? Les sourires font exploser les vitres des berlines. Tout le monde est heureux. Songes, nostalgies, ambitions, envie, renoncements, tout ce qui traverse les âmes se fond dans le bruit des moteurs, va mourir au fond du souffle de la zorna.
Saïd se marie aujourd'hui. Il est jeune, beau et ce qui ne pêche rien, il est émigré. Mieux, il est commerçant là-bas, où on aime.
Les chemins montent. Où sont les femmes ? “Elles sont ambassadrices de leurs tribus chez l'homme.” Ma mère d'abord, disent-elles. En fait, nous sommes une société matriarcale déguisée en espace patriarcal.
Cela, Saïd, qui se marie aujourd'hui, ne le sait pas. L'observateur qui parle est trop pessimiste, il dit encore : “Les invités d'honneur aux mariages devraient être les avocats. Ils excellent dans l'art de séparer a priori et a posteriori.” Ahmed raconte son plongeon dans le cortège : “C'est ma femme qui m'a acheté une chemise.” L'aveu n'a d'égal que l'ampleur de sa désespérance…
Le chômage taraude tout le monde sauf ceux qui se marient. Ahmed se souvient de son union :”Je n'avais rien. J'avais juste besoin d'un tuteur. Je l'ai eu, je n'ai pas eu de fête. Je n'en ai pas fait.” Chez Saïd, on a égorgé un bœuf. Ça a donné 1 200 morceaux de viande.
De quoi inviter une ville moyenne en Europe. Ici, ça correspond à la demande dequelques ventres affamés. À quelques palais qui ont oublié la saveur de la chair. Ahmed revient sur son mariage, un souvenir diffus : “Je n'en voulais pas. Enfin, je voulais la femme mais pas la fête. De toute manière, je n'avais pas les moyens d'assumer un festin "communal". Au lendemain des noces, ma mère m'a présenté la note. Faramineuse ! Je lui ai dit : j'ai invité trois copains, avec moi cela fait quatre personnes. Je te paie quatre repas. Le reste tu te débrouilles avec. Je ne t'ai pas demandé d'inviter toute la population du coin pour célébrer mon alliance !”
Les alliances coûtent cher. Les objets eux-mêmes vont chercher dans les vingt mille dinars. La parure et les fioritures qui l'accompagnent vont titiller les cent cinquante mille. Le repas qui se doit d'orner les fiançailles et qui peut recevoir entre cinquante et quatre cents convives va jusqu'à friser les cent mille.
Dès qu'on se décide à convoler en très justes noces, on empile les mille et les cents. “Quand on aime on ne compte pas, dit-on.” “C'est quand on n'aime plus ou qu'on n'est plus aimé qu'on se met à compter... Moi, j'ai fait une erreur, raconte Amar, j'ai dépensé un argent fou. Je me suis marié avec une Française. Elle a aimé le couscous aux cornilles. D'emblée. Lorsqu'elle s'est rendue compte que je n'avais que cela à lui offrir chaque jour, matin et soir, elle m'a quitté. J'ai divorcé les mains sur les rebords d'un plat de semoule.” Un mariage en Kabylie, c'est bien mieux qu'un conclave, bien plus hypocrite. On y voit deux frères fâchés depuis des décennies s'embrasser comme s'ils s'étaient quittés la veille après une partie de 4 -21. On y voit le religieux taper, hilare... sur le dos d'un soûlard invétéré.
Le chemin continue de monter. Tous les postes K7 déversent du Matoub à l'exception de celui d'un véhicule algérois, piégé. Il n'avait pas une traître bande d'un chanteur kabyle dans sa boîte à gants. Il lâche Hasni. Le scandale n'aura pas lieu. Les espagnolades du défunt se noient dans les youyous et l'euphorie ambiante. En attendant que la mariée soit placée sur son trône — une Mercedes qui fait taxi dans les Hauts-de-Seine (92) — les convives sirotent du café assis ou adossés aux tombes des ancêtres, la maison de la mariée y étant attenante.
Après un en-cas, toujours bienvenu par ces temps de misère et un café, le cortège s'ébranle. Au bas d'Aït Hellal, le village hôte, il va tamponner un autre, sans fracas. ça va donner l'occasion aux fêtards de montrer leur talent de danseurs au bord du précipice, sur un chemin vicinal, tout près des corbeaux. Beau !
La mariée est chez elle. La foule est là parquée dans une cour immense rectangulaire, proportionnelle au volume de la maison qui sent le neuf. Rien de beau, que du riche !
Enfin, Saïd le propriétaire des lieux et heureux élu du jour, a au moins le mérite de ne pas avoir attendu l'Etat pour se mettre à l'abri. Après avoir été livreur de pizzas à Paris, après n'avoir été rien du tout en Algérie, il a fini par aller à l'école, apprendre et comprendre. Dernier poste en date : patron du PMU à Gentilly. ça rapporte mieux qu'un ministre en Algérie et ça apprend plus que la fac des sciences sociales du Caroubier.
Le chemin redescend. On a fait le tour des senteurs de Kabylie. Miracle, il faisait 40° à l'ombre ce jour-là et il n'y avait pas d'incendie ! Une femme en habits de lumière remonte l'allée caillouteuse. La montagne qui est à portée d'index se reflète dans ses yeux. Elle est la montagne ! Sur son dos, elle porte une trentaine de cubes d'erreurs. Femme de bât, elle transporte des cadeaux. Qu'y a-t-il, dedans ? De l'huile ? du sucre ? des œufs ?
La tradition veut qu'on n'arrive jamais dans la maison où il y a deuil ou joie les mains vides. Ça faciliterait tant de choses d'égorger la tradition... Saïd est archaïque. Sait-il que depuis quelques années les mariées se transportent dans les 4X4, de préférence des Touareg ? “Attention les secousses !” Quand on n'en a pas, on en loue. On allonge dix mille dinars. Les voitures du cortège sont presque toutes immatriculées en France. Pardon ! En banlieue. Les enfants pullulent. Ils lisent les journaux. Sidérant ! Pourquoi ne jouent-ils pas au foot ? Le Pr Guidoum devrait s'inquiéter...
Les Kabyles adorent le chatoyant : les femmes sont toutes en rouge, rose, violet, bleu, vert, jaune... Arc-en-ciel. Tout tend vers le soleil. La maison de la fête est envahie de tous les côtés par une plante sauvage qu'on appelle en Kabyle “les poux des champs”, une galère ! Ça colle partout. Le poste-cassette d'un véhicule crache du Asma qui chante Azem. Nous sommes à cinq kilomètres du village de Da Slimane. Un autre met Matoub. Ça sied. Tour du parking : Mercedes, 307, Golf, 207...
Le parc est neuf et les fleurs envahissantes, cinq mille dinars le capot fleuri. Tout à l'heure, sur la crête, cheb Abbas cartonnait, de quoi étrangler le plus tolérant des délégués des archs ! Une voiture immatriculée 15 fait semblant de croiser la procession des fêtards qui, eux, affichent des 75 à 95 (Paris ou Val d'Oise). Ah l'intrus ! Au bas du village d'Aït Hellal, au lieu dit Tizi, la chenille mécanique passe au pas sous les yeux d'une vingtaine de jeunes scotchés au rocher : incroyable, ils sont tellement figés qu'on les croirait taillés dans la pierre qui leur sert de fauteuil.
Les 4x4, pourquoi ? Réponse d'un jeune définitivement convaincu de finir célibataire : “Les Algériennes sont devenues trop lourdes, il leur faut des voitures nanties de quatre roues motrices et d'un levier de crapotage.”
Saïd, le marié, n'a aucun souci. Sur l'heure, il est sur un nuage. En fait, il a beaucoup de soucis mais aucun complexe. Il ouvre le bal, il danse, il exulte. Il oublie un moment qu'il est en train d'exploser à cinq mètres de la tombe de son père. Terrible ! “Il doit être heureux, lui aussi”, commente-t-il.
Kabylie, lendemain de mariage. Les yeux sont boursouflés et la tâche énorme. Il faut encore faire la tournée des grands et des petits ducs. La plus cocasse est celle qui consiste à renvoyer des paniers aux gens qui ont ramené des cadeaux (parfois les mêmes que ceux qu'ils ont offerts !)
Saïd, le marié, himself se tape la corvée. Heureusement qu'il y a Aït Menguellet pour adoucir le calvaire. Surlendemain du mariage, les voitures sont garées dans la cour intérieure de la maison. Elles ne sont pas visibles de l'extérieur. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir, beaucoup de déplacements à faire. La fête n'est pas tout à fait finie. C'est le moment que choisit l'équipe d'une entreprise d'assainissement pour venir poser des buses.
Ils creusent à l'entrée de la maison du marié. Plus personne ne peut y entrer et plus personne ne peut en sortir. Saïd vient de dépenser cinquante millions de centimes, il a gagné une femme et quelques degrés de cholestérol en plus. Il est enragé.
Une semaine plus tard, il le sera encore plus lorsque sa toute jeune et nouvelle femme partie rendre visite à ses parents lui répondra sur son portable : “Oui ça va bien mais est-ce-que tu permettrais que je reste encore une nuit ?”
“Nos femmes aimeraient toutes retourner dans le ventre de leur maman”, éructe-t-il. Slimane est invité à un mariage à Climat-de-France. “Il y aura un chanteur, un peu de chaâbi ?” Il explose de rire : “Ça ne se passe plus comme ça. Il n'y a plus ni m'samaâ ni âli. (chanteuses ou chanteurs). Il n'y a plus de khit errouh (le fil de l'âme, une chaîne en or). Aujourd'hui, les femmes cherchent à se marier. Même au prix le plus moindre.” Hassiba, enfant de la Casbah, appuie : “Avant, la femme préparait son trousseau dès l'enfance en faisant des travaux de broderie pour engranger quelque sous, par exemple. Le jour des fiançailles ou du mariage elle ne jouait pas au mannequin (tasdira). Aujourd'hui, elles s'exposent avec des robes venant de partout. J'ai vu même des saris ! Tout cela acheté ou loué pour satisfaire le devoir d'apparat.”
Le mariage, raconte Hassiba était un vrai rituel auquel toute la famille, tous les voisins contribuaient. Le hammam, la valise, les roses, le henné, la troupe de femmes, le chanteur, les gâteaux… tout le monde mettait la main quelque part et les noces duraient jusqu'à sept jours. Désormais, on essaie de confiner les convives en un lieu.
La salle des fêtes (il faut compter entre trois et cinq millions de centimes) et un jour, n'importe lequel. On ne se marie plus en effet le jeudi. On se marie le jour des soldes aux salles des fêtes. Pour se marier on fait crédit, on se saigne, on se réconcilie, on se fâche…
On dépense un mouton ou un bœuf, on brûle, en tout cas, tous ses vaisseaux. Un mariage sérieux revient à cinq cent mille dinars (cinquante millions).
Un divorce sérieux revient à autant d'argent, autant de larmes.
M. O.


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