Mme Fatiha Benabbou, professeure à l'université d'Alger et spécialiste en droit constitutionnel, nous donne dans cet entretien express quelques clés de lecture pour décrypter le message du Président portant sur le projet de la prochaine révision constitutionnelle. Liberté : Le président Bouteflika a évoqué samedi, dans son message, à l'occasion du 1er Novembre, le projet de révision de la Constitution dans lequel sera consacré un rôle "plus actif" de l'opposition parlementaire avec possibilité de saisine du Conseil constitutionnel. Qu'est-ce que cela va impliquer concrètement comme changements dans l'exercice parlementaire ? Mme Fatiha Benabbou : L'octroi d'un statut à l'opposition parlementaire a été vu comme un progrès et même salué comme un fleuron du constitutionnalisme par la doctrine. Cela peut, certainement, permettre de garantir le pluralisme politique et, partant, la démocratie. L'opposition serait, ainsi, mieux protégée contre les risques de "tyrannie de la majorité". En réalité, l'octroi de droits spécifiques à l'opposition dépendra de chaque pays. Dans la plupart des cas, l'opposition se voit reconnaître la présidence de la commission des finances et le poste de rapporteur de la commission des affaires extérieures. De surcroît, elle peut demander annuellement la création d'une commission d'enquête qu'elle préside. Ce qu'il faut souligner, c'est que ces droits qui lui sont reconnus sont octroyés aux groupes parlementaires et non aux parlementaires eux-mêmes. Mais, a priori, il est impossible de prévoir la portée qui sera conférée aux droits constitutionnels de l'opposition, comme je le préciserai plus bas. Dans le même projet, il est également question de "l'approfondissement de la séparation et de la complémentarité des pouvoirs". Doit-on comprendre qu'il s'agit de la redéfinition des équilibres des pouvoirs ? C'est une lecture possible. Approfondir la séparation des pouvoirs signifie avant tout qu'il n'y ait plus d'interférences entre les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) ; en d'autres termes, il faut y mettre fin, et que soit revu le déséquilibre qui se trouve dans l'actuelle Constitution : - d'abord, à l'intérieur du pouvoir exécutif, où la tutelle qu'exerce le chef de l'Etat sur le gouvernement est particulièrement visible, non seulement, au niveau organique par la nomination de tout le gouvernement, Premier ministre y compris, que par la mise de fin de fonction de ce dernier ; mais, également, au niveau du fonctionnement, grâce à la présidence du Conseil des ministres et la paternité du programme gouvernemental ; - Par ailleurs, le président de la République est un organe partiel de législation puisqu'il y participe par le biais de l'ordonnance présidentielle et par le biais du référendum. Il dispose, également, du pouvoir de dissolution inconditionnelle à l'égard de l'Assemblée populaire nationale sans que celle-ci ait un quelconque moyen de pression sur lui. Il nomme, également, un tiers des membres du Conseil de la nation. Ce qui est totalement incompatible avec le principe de l'équilibre des pouvoirs ; - enfin la justice n'a pas l'indépendance nécessaire face à l'Exécutif. Des garanties d'ordre statutaire doivent être accordées aux magistrats (principe d'inamovibilité qui doit protéger les magistrats une fois nommés, ainsi qu'un ensemble de règles relatives à leur carrière : nomination, notation, et avancement). De même, la gestion de leur carrière doit se faire par le biais d'une instance indépendante, de préférence composée de magistrats élus par leurs pairs. Or, actuellement, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature échoit au président de la République, assisté du ministre de la Justice... Le Président a annoncé également la mise en place d'un "mécanisme indépendant" pour le contrôle des futures élections. Cela est-il suffisant pour rassurer l'opposition qui, elle, n'a de cesse de réclamer "une commission indépendante" ? Consacrer constitutionnellement le principe d'une institution indépendante pour le contrôle des élections, c'est bien en raison du principe de suprématie de la Constitution. Mais ce n'est pas suffisant. Le principe de suprématie n'a de sens que s'il est respecté et garanti. Et là, il faut nécessairement "une garantie juridictionnelle de la Constitution" qui se fera, non pas par l'actuel Conseil constitutionnel, mais par le biais d'une cour constitutionnelle. Je ne cesse de militer pour la justiciabilité de la Constitution qui est l'un des mécanismes les plus sûrs pour donner aux dispositions constitutionnelles leur pleine efficacité tout en offrant des garanties d'impartialité et de compétence. De manière générale, la problématique de l'effectivité des dispositions constitutionnelles se pose en Algérie. Mis à part le contrôle de constitutionnalité des lois et des traités, les autres règles consacrées dans la Constitution ne bénéficient d'aucune protection particulière. Il arrive, souvent, qu'un principe soit introduit, sans que les modalités précises de sa mise en œuvre juridique suivent. La technique du renvoi explicite est largement utilisée par le constituant algérien. Il faudra donc nécessairement que ces droits constitutionnels soient, pour pouvoir être mis en œuvre, précisés par des normes de rang hiérarchique inférieur. Autrement dit, des normes infra-constitutionnelles sont nécessaires pour préciser les contours d'un principe inscrit. Par ailleurs, rien ne peut contraindre juridiquement les pouvoirs publics à adopter de tels actes à défaut d'un recours juridictionnel en carence.