Quel que soit le sort qui sera réservé à la démarche des "19", elle aura le mérite de précipiter la décantation entre ceux qui plaident pour une nouvelle ère et les partisans du statu quo. En décidant de solliciter le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, pour une audience, le groupe des "19", dont la plupart sont réputés pour faire partie de son cercle d'amitié, vient, sans doute, conforter, malgré lui, ce que l'opposition n'a pas cessé de marteler depuis longtemps, à savoir que le pouvoir décisionnel est entre les mains de forces extra-constitutionnelles pour reprendre une formule d'Ali Benflis. Car, à bien examiner les motivations des signataires exprimées dans la lettre rendue publique, il y a de forts soupçons que le Président soit tenu à l'écart de tout ce qui se fait en son nom, qu'il est isolé dans une espèce d'ermitage, vivant reclus loin des manigances, des plans, des décisions et des projections de ceux qui sont dans son entourage. Et les images qu'on s'emploie à présenter à chaque fois qu'il reçoit des délégations étrangères ne sont destinées qu'à entretenir, aux yeux de l'opinion, l'illusion d'un président qui tient toujours les rênes. "Nous n'avons pas la prétention de présenter des solutions ou de présenter un programme. On veut rencontrer le Président parce qu'il a un mandat. Nous considérons que les décisions étranges qui ont été prises constituent un danger sur l'indépendance et la souveraineté du pays (...) Nous voulons en avoir le cœur net ! Nous voulons savoir s'il sait ou s'il ne sait pas. S'il est au courant (...)", a expliqué, vendredi, Louisa Hanoune, l'une des signataires de la lettre. "De mon point de vue, la plus grave de toutes (décisions prises, ndlr) parce qu'elle a des implications. Les gens croient qu'elle n'a que des implications économiques, mais elle a des implications politiques très très graves, c'est l'abandon du droit de préemption", a affirmé, de son côté, Khalida Toumi qui a eu à travailler pendant plus d'une décennie sous les ordres du Président. "Moi, je connais le président Bouteflika dont j'ai eu l'honneur de travailler sous les ordres, qui a défendu le droit de préemption en disant que c'est une chose sacrée. Qu'on remette en cause ça, ce n'est pas le président Bouteflika, ce n'est pas son programme", dénonce-t-elle. À bien des égards et toutes proportions gardées, la situation ressemble, à s'y méprendre, aux derniers jours du règne de l'ex-président tunisien, le défunt Habib Bourguiba. Chevillé au pouvoir, grabataire vieillissant, le "combattant suprême" dont la santé était chancelante vivait reclus et manipulé par son entourage, jusqu'au jour où il a été victime d'un "coup d'Etat médico-légal", selon une formule consacrée par un certain Zine El-Abidine Ben Ali. L'interrogation des signataires est d'autant pertinente que le Président, qui s'est toujours plaint des blocages du DRS, a théoriquement les mains libres pour agir maintenant que cette structure est supposée neutralisée. "Il a tous les pouvoirs, mais il est incapable de les exercer. Il règne, mais ne gouverne pas", soutient un ex-ministre. Reste à savoir si derrière la démarche du "groupe des 19", lorsqu'on sait que des demandes similaires ont été formulées sans qu'elles aient connu de suite, il n'y a pas cette volonté de remettre au goût du jour la nécessité de l'application de l'article 88 d'autant que parmi les signataires il y en a qui soupçonnent l'existence de quelques scenarii concoctés par l'entourage du Président en perspective de la succession. En tout cas, quel que soit le sort qui sera réservé à cette démarche, elle aura le mérite de précipiter la décantation entre ceux qui plaident pour une nouvelle ère et les partisans du statu quo. Une forme de... consensus sur la nécessité d'aller à une présidentielle anticipée se dessine vaguement... K.K.