En vérité, pour être précis, il faut parler du recul du financement budgétaire des équipements, notamment d'infrastructures, réalisés majoritairement à ce jour par des entreprises étrangères avec une percée insuffisante certes mais réelle des entreprises nationales. Formalisée dans le projet de loi des finances pour 2016 (LF 2016), je vous rappelle que cette coupe avait été déjà initiée dès août 2015 par une circulaire demandant aux wilayas de geler tout projet non encore lancé. Depuis, cette approche abrupte a été certes atténuée mais la tendance à trancher préférentiellement dans les dépenses d'investissements a été confirmée. C'est ainsi que le projet de la LF2016 prévoit des dépenses d'équipements en recul de 18% en 2016 en comparaison avec 2015. Une diminution historique en Algérie, même s'il est éclairement établi que c'est précisément la dépense publique qui tire la croissance et l'emploi en Algérie. Alors ce recul sera-t-il nature à aggraver la crise par une diminution de la croissance et une augmentation du chômage ou à l'inverse sera-t-il une opportunité pour diversifier les sources de financement des infrastructures et de l'économie? D'abord pourquoi les pouvoirs publics, ici mais aussi ailleurs, préfèrent agir en général sur les dépenses d'équipement pour réduire leur déficit budgétaire et reportent les coupes des dépenses de fonctionnement le plus tard possible ? Tout simplement parce que les réductions des dépenses d'équipements ne produisent des effets qu'à long terme alors que celles portant sur le fonctionnement ont un impact stressant à court terme sur la sphère sociale et politique. Comme disait Keynes "à long terme on sera tous morts". Selon qu'on s'inscrive dans le temps politique (court terme) ou dans le temps économique (long terme) les réponses à la crise, en l'occurrence budgétaire, auront des résultats différents. La science économique, en matière de pratique des réformes, nous enseigne que se contenter de ne donner qu'une seule réponse, par choix tactique, s'avère toujours inefficace voire contre productif. C'est pour cela qu'il faudra faire les deux en s'inscrivant dans un cap stratégique et en suivant une trajectoire cohérente. Deux institutions de la République viennent de se positionner de façon proche sur cette question. La Banque d'Algérie, par la voix de son Gouverneur, se projetant déjà dans le temps long, a déclaré à Lima que les pays émergents et en développement (en crise) "devront recalibrer leurs politiques budgétaires tout en limitant les effets négatifs sur les dépenses d'infrastructures et sociales ainsi que sur la croissance à long terme". C'est la même tonalité qu'on retrouve dans le dernier texte du CNES remis au Gouvernement comme synthèse des travaux du Panel d'experts. Cette institution consultative a émis des propositions de court terme dont elle considère que certaines d'entre elles gagneraient à être insérées dans le projet de la LF 2016 en examen au Parlement. À l'inverse, d'autres propositions de portée structurelle, portant sur les sujets sensibles ou tabous tels que les transferts sociaux notamment, s'inscrivent quant à elles dans "une trajectoire budgétaire de quatre à cinq ans". Enfin, pour rester dans notre sujet, des idées intéressantes de financement alternatifs pour les infrastructures y sont évoquées comme par exemple le partenariat public/privé cher aux institutions de Bretton Woods dont c'est sûrement le moment de tester la faisabilité opérationnelle en puisant dans la liste des projets "gelés" par les pouvoirs publics. Liste de projets dans laquelle il faudra impliquer également pour les montages financiers la Banque africaine de développement (BAD) dont nous avons été et sommes toujours un gros contributeur sans en avoir suffisamment bénéficié. Ceci dit, il faudra mettre à profit l'expertise et le retour d'expérience accumulée depuis 2007, sur un portefeuille de projets de 54 milliards de dollars, par la Caisse nationale d'équipement pour le développement (CNED) pour identifier à la fois les projets éligibles au financement budgétaire et ceux à reporter. La CNED dispose de la capacité et de la compétence, y compris avec l'appui de l'expertise internationale, pour opérer ce premier tri sur la base duquel l'arbitrage politique pourra se faire ultérieurement. Cela évitera au moins de réaliser des "éléphants blancs" et rendra accessoirement plus crédible le recours au marché financier pour ceux des projets "faisables". Il convient tout simplement d'en finir avec le volontarisme dispendieux des "années fastes" et revenir aux normes universelles de réalisation qui rendront éligibles au financement par le marché un certain nombre d'infrastructures et d'équipements publics. L'extension de l'aéroport international d'Alger est, à cet égard, une opération test. Le nouveau port Centre aussi. Pour conclure, on voit bien qu'il y a des scénarios de sortie de crise par le haut, compatibles d'ailleurs avec la gravité et la durée de la crise. Mais leur mise en œuvre implique de bousculer certains intérêts établis ou émergents d'ici et d'ailleurs et de construire d'autres rapports de forces. Finalement, tout l'enjeu est à présent moins dans l'ingénierie des réformes que dans la volonté politique d'oser les réformes. C'est ma conviction en tout cas car le risque zéro n'existe nulle part. M. M.