À vrai dire, comme la plupart des experts et des observateurs l'ont constaté, les mesures budgétaires à effets sociaux directs n'ont été prises ni dans la loi de finances 2015 ni dans la loi de finances complémentaire 2015 (LFC 2015). Cela alors que la chute des prix du baril avait commencé en juin 2014. Pour deux raisons me semble-t-il : la première a été la sous-estimation initiale de la crise financière en termes de durée et d'ampleur, la seconde est liée à la résilience monétaire et financière algérienne de court terme s'agissant des équilibres internes et de moyen terme pour les équilibres externes. Cela explique en partie un début de rentrée sociale relativement peu perturbée. Le retour imminent au crédit bancaire à la consommation va, en outre, renforcer le pouvoir d'achat des ménages, y compris d'ailleurs pour les produits dont le taux d'intégration locale est négligeable. Mais pour l'année 2016, les pouvoirs publics sont tenus d'afficher des arbitrages difficiles mais inévitables car, entre temps, les marges de manœuvre pour maintenir les équilibres financiers internes se sont rétrécies. Rappel des faits rapportés dans la dernière note de conjoncture de la Banque d'Algérie pour mesurer l'ampleur du défi à relever. En un an, depuis le début de la chute des prix des hydrocarbures, de juin 2014 à juin 2015, les ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR) ont diminué d'un tiers, soit 1744,6 milliards DA, ne disposant à l'heure actuelle que de 3441,3 milliards DA représentant 32,8 milliards dollars. Ce chiffre, pour qu'il soit significatif pour le lecteur, doit être rapproché de celui du déficit budgétaire prévu pour 2015, qui s'élève à 25 milliards de dollars. En d'autres termes, si le déficit 2015 est encore totalement finançable par le FRR, celui de 2016 ne le sera que partiellement, et ce, pour la première fois depuis 2005. D'où la nécessité de coupes budgétaires à opérer dans la loi de finances 2016 (LF 2016). Mais où et comment tout en continuant à préserver par ailleurs la stabilité et la cohésion sociales. Les limites de l'acceptabilité sociale et économique des coupes à opérer rendront incontournable aussi le recours à l'émission d'une dette interne pour financer la partie du déficit non couverte par les ressources du FRR. Il faut savoir, à ce propos, que l'Arabie Saoudite elle-même a contracté, dès juillet 2015, une dette pour financer son déficit budgétaire historique de 150 milliards de dollars. C'est dans la résolution de cette équation à variables complexes que réside la difficulté de l'exercice pour les pouvoirs publics. Examinons les gisements potentiels de la "rationalisation budgétaire". Le plus important reste celui des subventions et autres aides implicites, évaluées officiellement à 29% du PIB en 2013, dont 40% pour les produits énergétiques (électricité, carburants liquides et gaz naturel). Sous toutes réserves, les premières informations distillées dans la presse sur l'avant-projet de la LF 2016 font état de nouvelles dispositions augmentant le taux de TVA à 17% pour le gasoil, l'électricité au-delà d'une consommation de 125 kWh et la 3G. Cela va dans la bonne direction mais sera insuffisant (prix du gasoil passant de seulement de 13,70 DA le litre à 14,98 DA) pour pouvoir générer des recettes fiscales significatives. Même si l'on ajoute les autres recettes fiscales escomptées : droits de douanes de 30% sur les matériels informatiques importés, doublement de la taxe sur le chiffre d'affaires pour les opérateurs de téléphonie mobile. Le deuxième gisement potentiel d'économies budgétaires se trouve dans la diminution du budget d'investissement par le report d'un certain nombre de projets initialement prévus sur financement budgétaire. Là aussi la marge de manœuvre est étroite. Un repli trop accentué du financement budgétaire des infrastructures aurait un impact négatif sur le taux d'une croissance tirée essentiellement par la dépense publique. Sans oublier les autres conséquences négatives sur l'emploi. C'est également pour ces mêmes dernières raisons qu'il ne faudra pas compter non plus sur une diminution des charges salariales de l'Administration. Alors quelle serait l'alternative de sortie de crise offerte aux pouvoirs publics si les ruptures considérées comme brutales sont hors de leur agenda ? Il y a la position du statu quo ; dans l'espoir que le prix du baril remonterait au niveau d'un palier entre 60 et 80 dollars le baril. Cette posture ne tient pas la route. En effet même à ce niveau de prix, le problème de la diversification stratégique de l'économie algérienne serait entier car, en vérité, la crise avait débuté chez nous non pas avec la chute des prix du baril de juin 2014 mais avec la chute des quantités d'hydrocarbures exportables de 2012. Que l'on ne se berce pas d'illusions : cette baisse de nos quantités d'hydrocarbures exportables d'une part et la baisse des prix du baril sont deux tendances lourdes et durables. La deuxième option de l'alternative est l'option réformatrice qui suppose une double rupture, mais celle-ci acceptable socialement et politiquement. À l'interne, une rupture progressive mais ferme avec les forces de la bureaucratie paralysante, de l'informel, de la rente et de la prédation au profit d'une alliance organique avec les entrepreneurs privés et publics, encouragés et portés par un climat des affaires transparent, compétitif et efficace qui n'a que trop tardé à se mettre en place chez nous. À l'international, il s'agira de réévaluer sérieusement nos échanges économiques extérieurs bilatéraux et régionaux pour identifier ceux des acteurs qui vont nous accompagner dans la réindustrialisation du pays, y compris par des investissements directs, et connaître aussi ceux qui, tout compte fait, ne nous perçoivent que comme un comptoir solvable jusqu'au dernier dollar de nos réserves de change. Pour conclure, si c'est cette dernière option qui est choisie, sa mise en œuvre créera de facto les conditions d'un traitement socialement équitable et économiquement soutenable du dossier complexe des subventions mais pas seulement. C'est ce qu'on appelle, en période de crise, le renforcement du front intérieur qui passe par la construction d'un large consensus social et politique. L'exercice du CNES de réunir un panel d'experts et d'universitaires algériens, d'ici et du reste du monde, de sensibilités diverses, pour élaborer une plateforme d'identification de la crise et des voies de sortie s'inscrit dans ce cadre. La prochaine tripartite de Biskra aussi. En attendant le consensus politique. M. M.