Il ne vous a pas échappé que j'ai consacré, depuis le début de l'année, plusieurs chroniques sur les problématiques budgétaires du pays. Cela tout simplement parce que c'est la menace la plus imminente sur nos équilibres macroéconomiques et sociaux. À présent, on peut affirmer, sans risque de nous tromper, que la période de résilience du cadre macrofinancier interne de l'Algérie est de trois ans. En trois exercices (2014, 2015, 2016), les ressources budgétaires, sources principales du financement de la croissance et du développement humain, passeront d'excédentaires à déficitaires, y compris en recourant au Fonds de régulation des recettes (FRR). Cela veut dire que, partiellement pour 2016 mais sûrement au-delà, on sera obligé de financer les déficits budgétaires sans recourir au FRR largement asséché. Dans cette situation, les deux grands défis qu'il va falloir, d'une façon ou d'une autre, relever tout de suite sont la réduction du déficit budgétaire et son financement. Eléments d'analyse. Pour ne pas être pris de court, il s'agira d'abord de ne plus refaire les erreurs d'anticipation qui se sont introduites dans la préparation du budget 2015. Rappelez-vous que les éléments de cadrage portant sur les prévisions de recettes de la fiscalité pétrolière étaient notamment basés sur un baril à 90 dollars, alors que la chute du prix du baril avait commencé en juin 2014. Faussant, ce faisant, à la fois l'ampleur du déficit budgétaire prévu pour 2015 et le niveau de réalimentation du FRR. Ensuite il convient de tirer profit de l'ensemble des dispositifs et organes institutionnels déjà mis en place pour un contrôle a posteriori du budget de l'Etat et de l'évaluation des politiques publiques. Les conclusions de ces derniers ne sont pas, à ma connaissance, totalement exploitées pour rationaliser la dépense publique. À titre d'illustration, la loi de règlement budgétaire 2012 avait corrigé à la baisse le déficit du budget de l'Etat le ramenant de 4276,4 milliards DA (28% du PIB) à 3570 milliards DA (22,53% du PIB). Idem, dans une moindre mesure, pour 2013. L'intérêt supplémentaire est que le rapport prévu par cette loi est accompagné d'une note d'appréciation de la Cour des comptes qui identifie les niches de gaspillage, de non-utilisation, par les fonds spéciaux notamment, et/ou d'affectations non pertinentes des ressources budgétaires. À titre d'exemple, le rapport d'appréciation de la Cour des comptes relatif au règlement budgétaire de l'exercice 2010 mettait en évidence la faiblesse des montants recueillis au titre de l'impôt sur le patrimoine, considérés comme "très insignifiants en dépit de l'importante évolution de la propriété privée... soit 0,02% du montant des contributions fiscales directes". Le premier effort de rationalisation passe donc d'abord par la mise en œuvre des conclusions de ce dispositif institutionnel dans les exercices budgétaires suivants. Le deuxième instrument institutionnel est le Conseil national économique et social qu'il faudra redynamiser, car sa position en termes d'inclusivité sociale, de recul et d'expertise lui permet de produire des évaluations pertinentes et potentiellement correctives quant à l'efficacité des politiques publiques sectorielles et horizontales mises en œuvre. La meilleure preuve est la récente rencontre du 20 septembre d'un panel d'experts sur la crise, sous l'égide du Cnes, suite à une saisine du Premier ministre. D'une façon plus générale, l'amélioration de la qualité de nos institutions y contribuera aussi, notamment celle des agences de régulation auxquelles il faudra veiller à l'indépendance sans laquelle elles ne serviraient à rien. Au plan instrumental, les outils de rationalisation budgétaire sont connus et universels : rationalisation des choix budgétaires (RCB) ou "planning and programming budget system" (PPBS) ainsi que la révision générale des politiques publiques (RPP). Le ministère des Finances devrait à cet égard afficher la performance de sa plateforme logicielle portant "Système d'information budgétaire de l'Etat (SIBE)" lancée en 2011. La transparence des approches budgétaires indiquées plus haut rendrait assurément plus acceptable socialement et politiquement la remise à plat des systèmes de subventions explicites ou implicites en commençant par ceux de l'énergie. D'autres idées de réduction du déficit budgétaire sont avancées par les pouvoirs publics et autres acteurs sociaux, institutionnels et politiques. La proposition du ministre des Finances de transformer 600 Epic en EPA au motif qu'elles émargent à 80% au budget de l'Etat sans pour autant être soumises au contrôle a priori du contrôleur financier peut n'être qu'une fausse bonne idée. Sauf à auditer au préalable les raisons des déficits et des inefficiences de ces Epic, car les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Deuxième exemple : l'ouverture du capital social des EPE au secteur privé, y compris par voie boursière, ne peut être traitée qu'au cas par cas en s'assurant que les repreneurs minoritaires ou majoritaires sont intéressés par l'activité industrielle et non par les seuls actifs immobiliers de l'entreprise. Troisième exemple : l'initiative de faire financer les prochains investissements de Sonelgaz par l'émission d'obligations, en lieu et place d'un financement budgétaire, n'exclut pas et même implique le réexamen de la politique tarifaire du groupe. Dernier exemple : celui du financement du déficit budgétaire résiduel. Pour ma part, je considère qu'il faudra le segmenter en deux parties finançables séparément. La partie relative au budget d'équipement éligible au financement par le marché pourrait être adossée à l'émission d'obligations. La partie concernant le déficit de fonctionnement pourrait être, quant à elle, financée par un emprunt national de solidarité. L'ensemble de ces mesures est évidemment soumis à la contrainte du temps ; ce qui implique que le programme de mise en œuvre fasse l'objet rapidement d'une simulation opérationnelle. Pour conclure, l'intérêt des pistes de traitement budgétaire suggérées est qu'elles s'inscrivent résolument dans un nouveau paradigme de croissance impliquant des réformes structurelles portant à la fois sur la sphère monétaire et la sphère réelle. Elles ont été identifiées et débattues, en présence du gouvernement, par le panel d'experts réunis par le Cnes le 20 septembre. Enfin, je voudrais rassurer ceux de nos concitoyens qui sont inquiets. Beaucoup de pays développés et émergents connaissent le syndrome du déficit public. Ils le gèrent en général bien. Pourquoi pas nous ? M. M.