L'ancien normalien et directeur du mensuel L'Ecole et la Vie (1992-1998), Ahmed Tessa, était, samedi passé, l'hôte du café littéraire de Béjaïa. Il était venu présenter son essai, L'impossible éradication. L'enseignement du français en Algérie , paru chez Barzakh Editions (2015). Mais aussi échanger avec le public du café littéraire, l'un des rares espaces de débat qu'abrite épisodiquement le théâtre de la ville. Il faut dire que la thématique choisie – l'enseignement de la langue française – ne pouvait objectivement laisser indifférent un public curieux d'écouter le point de vue d'un pédagogue, devenu une référence en la matière, doublé du regard du journaliste avec les faits et les chiffres. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si le français connaît une forte expansion en Afrique, force est de constater qu'il est en baisse dans le pays de Mohamed Dib et de Kamel Daoud. Il dira que c'est une situation voulue depuis 1962. Il y a eu, selon lui, "dévalorisation et éradication ensuite de l'enseignement de la langue française". Toutefois, ceux qui avaient planifié cela subiront inévitablement un retour de manivelle, d'où sa thèse : l'impossible éradication. Il a relaté qu'un jour – c'est écrit dans le livre – un ministre avait eu recours à un référendum auprès des parents d'élèves pour les faire choisir entre l'enseignement de la langue française et la langue anglaise. Résultats : une minorité seulement avait opté pour la langue de Shakespeare. Et c'était les couches les plus défavorisées. Durant ce référendum qu'Ahmed Tessa a qualifié de suicidaire, "les parents d'élèves, des couches les plus défavorisées plus particulièrement, avaient choisi l'anglais, car ils disaient que le français était la langue du colonisateur, comme si l'Angleterre n'avait pas colonisé une partie du monde". Mais l'enjeu véritable de ce "référendum suicidaire", soulignera-t-il, c'est que ceux qui avaient autorisé l'organisation du référendum en vue d'amener le peuple à choisir l'anglais, c'est dans l'optique de se réserver la langue française à leur progéniture comme moyen d'accès aux responsabilités donc au pouvoir. Conséquences : des centaines de milliers de diplômés en sciences humaines, formés en arabe, sont en chômage après 15 ou 20 ans. "Cette vérité ne signifie nullement que la langue arabe en est la cause. Un seul et unique coupable : les orientations politico-idéologiques qui ont décrété la généralisation aveugle du système scolaire, nonobstant le fait que les filières scientifiques de l'enseignement universitaire continuaient d'être assurées en français." Pourquoi l'impossible éradication ? Parce que les gens du peuple s'était rendu compte très vite qu'ils avaient été dupés. Pour ceux dont les enfants arrivent à intégrer les facultés de médecine par exemple, ils se rendent compte très vite qu'ils ne peuvent suivre le cursus, car ne maîtrisant pas la langue de Molière. Parce que aussi le génie algérien ne s'exprime pas seulement en tamazignt ou en arabe dialectal mais aussi en français : Assia Djebar, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Tahar Djaout, Amine Zaoui, qui a fait la préface du livre. Il dira que de l'émir Khaled à Aït Ahmed en passant par Messali Hadj, le Groupe des 22, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi avaient combattu la France avec la langue française. Pourquoi priver aujourd'hui le peuple de cette langue ? Et créer un apartheid linguistique, qui pourrait se révéler dangereux à long terme, alors que quelque 7 millions d'Algériens de la 1re, 2e et 3e générations sont en France et dans les pays francophones. M. O