Le premier président de l'Algérie indépendante a dû contrarier le scénario de propagande pour une amnistie générale. L'association, réputée d'initiative spontanée, ne l'est donc pas : non seulement, elle travaille en intelligence avec le président Bouteflika, mais même la nomination de Ben Bella au rang de président d'honneur est une décision officielle. Il n'y a donc pas que l'empressement opportuniste qui anime la propagande amnistiante. Ainsi, l'amnistie n'est plus un projet ; c'est une mission d'Etat confiée à une commission qui active déjà. Sa fonction serait d'acquérir, pour le compte des éléments de l'AIS, on ne sait quels droits consignés dans un accord secret et de libérer leurs compères encore en prison. Visiblement, l'élargissement de tous les terroristes, y compris ceux arrêtés par les forces de l'ordre, constitue l'un des engagements obtenus par l'AIS. Ainsi, la campagne politique engagée n'a d'autre finalité que de légitimer la libération des terroristes jugés. L'impunité ne devait pas se limiter aux repentis mais s'étendre à tout terroriste. Ce serait donc un statut immunitaire. Et pour nous vendre l'incroyable transaction, Ben Bella, toujours avec son intacte candeur des années “autogestion”, nous adresse un message de menace : “beaucoup de repentis sont encore armés. S'ils n'obtiennent pas ce qu'on leur a promis, ils remonteront aux maquis.” C'est bien la première fois qu'on entend dire qu'un terroriste qui a gardé son arme, c'est tout de même un repenti ! On n'aura jamais autant accablé un Etat. Non satisfait de le menacer, Ben Bella l'accable de déloyauté envers… les terroristes. “L'Etat n'a pas respecté ses engagements”, précise-t-il. Et gare aux fausses causes qui viendraient parasiter l'œuvre d'amnistie. La mise en garde ne souffre d'aucune équivoque : “Les problèmes de familles de disparus et celles des victimes du terrorisme ne doivent en aucun cas constituer un prétexte pour torpiller le projet d'amnistie générale.” Les choses sont dites avec une franchise que seul un vieux “zaïm” pouvait endosser. Il faudrait peut-être attendre de confirmer la fidélité du discours de Ben Bella au réel contenu de la prophétie amnistiante, tant les priorités ainsi posées semblent scandaleuses. De son propre aveu, en effet, on ne lui “dit pas tout”. Si ce n'est pas une effusion de star déchue qui trouve enfin tribune, cela voudrait-il donc dire qu'il n'y en a plus dans ce pays que pour les terroristes : un temps pour la concorde, un autre pour l'amnistie ; un temps pour le pacte public, un autre pour les accords secrets ? La vérité c'est, on le sait, l'obligeance nationale envers les terroristes et qui semble faire office de programme aussi largement soutenu après qu'avant sa mise en œuvre. Il ne nous reste qu'à appeler le poète au secours pour se rassurer : n'ayant pas le pouvoir de changer le cours des choses, partageons avec Aragon et Ferré le loisir de nous étonner : “C'était un temps déraisonnable On avait mis les morts à table On faisait des châteaux de sable On prenait les loups pour des chiens Tout changeait de pôle et d'épaule Moi si j'y tenais mal mon rôle C'est de n'y rien comprendre Est-ce ainsi que les hommes vivent…” M. H.