Beaucoup parmi ceux qui ont accouru au siège du parti, dès l'annonce de la triste nouvelle, considèrent que l'Algérie a raté, à travers l'envergure d'Aït Ahmed, une chance inouïe de bâtir un Etat démocratique. Cela serait sans doute son dernier testament : le dernier "père" de la nation, pour reprendre un vocable à forte teneur symbolique de l'ancien chef de l'Etat, Liamine Zeroual, Hocine Aït Ahmed sera finalement enterré dans son village natal, à Aït Ahmed, dans la commune d'Aït Yahia, à Aïn El-Hammam, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tizi Ouzou. Il sera enterré parmi les siens, sur cette terre qui l'a vu naître un certain été 1926. Cette terre, que surplombe le majestueux Djurdjura, comme pour écrire l'ultime page de l'homme, resté fidèle à ses principes, attaché à son peuple et qui refuse de sacrifier l'envergure d'un prestigieux parcours, salué de tous, même par Nelson Mandela, sur l'autel de quelques égards tardifs d'un régime qui l'a excommunié. Il voulait des funérailles populaires, elles seront populaires. "La dépouille de Hocine Aït Ahmed sera rapatriée jeudi 31 décembre et une veillée de recueillement aura lieu le même jour au siège national du parti à Alger. Il sera inhumé le lendemain, vendredi 1er janvier, dans son village natal, dans la commune d'Aït Yahia à Aïn El-Hammam", a affirmé hier, à Alger, le premier secrétaire Mohamed Nebbou dans une déclaration à la presse au siège du FFS. "Les funérailles seront nationales et populaires", précise-t-il. "Elles seront à la hauteur de sa stature", avait déclaré la veille, Ahmed Ouyahia au niveau du siège à Alger où il était venu présenter ses condoléances à la direction du parti et signer le registre dédié à cet effet. Mais avant le rapatriement de la dépouille, une cérémonie de recueillement aura lieu mardi prochain à Lausanne pour permettre à ses amis en Suisse et au niveau international de lui rendre un dernier hommage. Cette décision de la famille d'enterrer le fils prodige en Kabylie met fin à quarante-huit heures de spéculations et de "négociations". On l'aura compris : en haut lieu, on aurait aimé lui organiser des funérailles grandioses à Alger en présence des hauts responsables de l'Etat dans le carré des martyrs à El-Alia. Mais pour la famille, cela aurait été faire une offense à la mémoire de celui qui a toujours été opposant à un régime dont il considérait qu'il a usurpé l'Indépendance nationale. "Il a vécu digne, il est mort digne" "Il a vécu digne, il est mort digne. Il ne veut pas que sa mort soit récupérée par les tenants de ce régime. C'est un geste d'un seigneur. À nous de poursuivre son combat." Kaci, comme il se prénomme, la soixantaine consommée, a encore du mal à accepter la disparition de celui qu'il appelle, comme d'autres nombreux, Dda L'Hocine même si, un tantinet philosophe, il croit à la fin d'un cycle de la vie. Comme lui, ils étaient très nombreux à accourir au siège du parti dès l'annonce de la triste nouvelle mercredien en début de soirée. Depuis, c'est un ballet incessant de personnalités, de femmes, de jeunes, de moins jeunes, d'anonymes, de militants, de sympathisants, de syndicalistes, d'avocats. Benflis, Belkhadem, Louisa Hanoune, Abou-Djerra Soltani, Makri, Mokrane Aït Larbi, Mme Benhabyles, Naïma Salhi, Ahmed Ouyahia, Larbi Ould Khelifa, Nouredine Benissad de la Laddh, Benbaïbèche, Ali Haddad, Lakhdar Bouregaâ, Belayat, et tant d'autres encore, tous ont tenu à présenter leurs condoléances à la direction. "Aujourd'hui, c'est l'Algérie qui a perdu un grand homme. Il n'a pas vu aboutir son projet", commente l'ancien ministre, Nouredine Bahbouh. Dans la grande cour du siège du parti dont la façade est ornée d'un immense drapeau et du portrait du défunt, des versets coraniques sont diffusés tandis que des groupes se formaient pour évoquer qui une anecdote, qui des citations de celui dont unanimement on saluait la rectitude et la grandeur. Certains, comme l'ancienne députée, Dalila Taleb, avaient du mal à retenir leurs larmes. Ou encore l'ancien premier secrétaire, qui a côtoyé plus d'une décennie durant le défunt et avec lequel il a voyagé dans de nombreux pays, Ahmed Djedaï. "Je ne pense pas qu'il existe dans notre pays un universaliste aussi important qu'Aït Ahmed. Il était universaliste dans tout, dans le mouvement de libération, dans le tiers-monde, dans le combat pour la démocratie. C'était un Maghrébin. Il a laissé le chantier de la démocratie à ciel ouvert, à nous de continuer son combat", dit-il, entouré de sympathisants du parti. "Il avait, poursuit-il, une grande capacité d'anticipation. Après l'action, il demandait toujours : et le coup d'après ? Et le plan B ? Il était toujours dans l'anticipation." Parmi les grands souvenirs que Djedaï retient, cette rencontre à Cap Town, en Afrique du Sud, lors d'une conférence de l'internationale socialiste, avec le mythe, Nelson Mandela. "Mandela est resté de longs moments à discuter avec Aït Ahmed, laissant de nombreux responsables en train de l'attendre", se souvient Djedaï. Même les nouveaux cadres du parti conviennent qu'Aït Ahmed n'est pas un homme à circonscrire et à confiner dans le seul cadre du parti. "Ce n'est pas seulement un militant du FFS, c'est un humaniste. Il a lutté pour l'Indépendance du pays, mais il a toujours milité pour l'autodétermination des peuples. La dimension d'Aït Ahmed dépasse l'Algérie, les frontières et le FFS. Il a une dimension maghrébine", juge Djamel Baloul, enseignant universitaire à Béjaïa. "L'Algérie, voire l'Afrique, a perdu un grand homme d'Etat, on ne peut pas le remplacer aussi facilement. Il avait une vision, une grande culture, il incarnait l'universalité. L'Algérie, à travers lui, a raté un tournant pour construire la démocratie », dit-il, la mine défaite. Il reste qu'en dépit de cette immense perte, il soutient que sa génération et celles à venir sont appelées à reprendre le flambeau. "Le FFS est aujourd'hui blessé. L'opposition un peu fragilisée. Mais nous nous relèverons. C'est notre référent, nous devons continuer son combat et transmettre ses messages". "Aït Ahmed était le seul homme du consensus", glisse un ancien cadre du parti qui observe que même le ciel est devenu gris, comme pour s'associer à la tristesse et à l'atmosphère funèbre qui a enveloppé le siège du parti... K. K.