L'exécution samedi du leader chiite Nimr Baqer al-Nimr ainsi que de 46 autres détenus, officiellement pour "terrorisme" et "désobéissance", constitue un précédent dans l'histoire du royaume wahhabite, mais également un message violent à tous ceux qui oseraient défier un roi, déjà très contesté dans son cercle le plus proche. Au-delà de la portée diplomatique qu'a eue et qu'aura cet acte qualifié de "terrorisme" par le chef du Hezbollah libanais, notamment avec Téhéran, l'ennemi numéro un de Riyad, c'est sur le plan interne qu'il faudrait peut-être mesurer son impact. Il faudrait en effet replacer les événements dans leur contexte pour comprendre, quelque peu, le pourquoi de cette exécution qui a provoqué un séisme à travers le monde. L'arrestation et la condamnation de l'imam chiite coïncident avec deux conjonctures politico-économiques particulières dans le royaume wahhabite. Figure emblématique de l'opposition chiite à la dynastie despotique des Al-Saoud, cheikh Nimr Baqer al-Nimr a été arrêté dans la foulée des manifestations de 2011-2012, pour exiger des réformes politiques dans le royaume et la fin de la marginalisation sociale dont sont victimes les 2 millions de Saoudiens chiites. Ces deux millions représentent 10% de la population totale, estimée à 18 millions d'habitants. La minorité chiite est concentrée dans les zones pétrolifères du royaume mais elle n'a pas bénéficié des rentes de cette ressource qui constitue la première source de revenus pour Riyad. C'est ce qui explique d'ailleurs la révolte des chiites en 2011, dans le sillage de ce qui est communément appelé le "Printemps arabe", apprécié par l'Arabie saoudite selon ses intérêts géopolitiques dans chacun des Etats où les peuples ont contesté les régimes en place. A l'époque, Riyad avait suffisamment d'argent pour s'acheter la paix sociale en consacrant 130 milliards de dollars en aide financière sur deux ans. L'Arabie saoudite a aussi arrosé d'argent ses voisins du Golfe, comme le sultanat d'Oman auquel elle a accordé 5 milliards de dollars et la Jordanie qui a bénéficié d'une aide d'environ 1,5 milliard de dollars. Autosuffisant financièrement, le Bahreïn a été soutenu par un millier de soldats saoudiens pour réprimer la voix de la communauté chiite qui vit sous le contrôle de la minorité sunnite des Al-Khalifa. Sur le plan politique, les Al-Saoud ont annoncé une série de réformes, dont l'application a commencé timidement, comme le droit de vote accordé aux femmes dès 2011 et leur participation au Parlement à hauteur de 20% à cette assemblée. Et ce n'est que fin 2015 que les Saoudiennes ont eu le droit de se porter candidates aux élections municipales, s'offrant même une élue à La Mecque. Frappée de plein fouet par la chute des prix du pétrole et confrontée, pour la troisième année consécutive, à un important déficit budgétaire, estimé pour la nouvelle 2016 à plus de 87 milliards de dollars, l'Arabie saoudite ne trouve pas mieux que l'outil de la répression pour prévenir un éventuel soulèvement populaire dans un pays où chaque année plus de 300 000 jeunes arrivent sur le marché de l'emploi. Un marché aux opportunités réduites dans ce pays, dont l'économie dépend de la rente pétrolière. Maintenant que le pétrole saoudien n'est pas aussi indispensable aux puissances occidentales, qui peuvent trouver d'autres sources d'approvisionnement, comme l'Iran, la communauté internationale aura-t-elle le courage de dire stop à cette injustice qui frappe les chiites en Arabie saoudite et changer de traitement avec le régime de Riyad ? Les choses ne sont pas aussi évidentes que cela pour ces puissances, dont l'industrie militaire et la machine de guerre ont besoin d'acteurs comme l'Arabie saoudite. L.M.