"AI regrette la consécration de l'impunité pour la période des années 90 dans la nouvelle Constitution, en ignorant les demandes des victimes du terrorisme", a observé, hier à Alger, Mme Hassina Oussedik. En institutionnalisant la réconciliation nationale dans la Constitution adoptée le 7 février dernier par les deux Chambres parlementaires réunies en Congrès, les autorités consacrent de facto l'impunité aux auteurs des exactions et des violations massives des droits de l'Homme durant la "sale guerre" des années 90. Les propos ne sont ni d'un parti d'opposition ni de quelque observateur retiré dans un salon feutré algérois, mais de l'ONG Amnesty International (AI). "AI regrette la consécration de l'impunité pour la période des années 90 dans la nouvelle Constitution, en ignorant les demandes des victimes du terrorisme", a observé, hier à Alger, Mme Hassina Oussedik, directrice d'AI Algérie, lors de sa présentation du rapport annuel 2015 sur les droits de l'Homme dans le monde. Même si elle relève de "nombreuses avancées" dans la nouvelle mouture, elle n'en exprime pas moins des "réserves sur certaines dispositions". C'est le cas, par exemple, de la révision du code pénal dans le volet inhérent aux violences faites aux femmes. "En 2015, on a eu quelques avancées dans les droits humains, notamment la révision du code pénal dans son volet criminalisant la violence faite aux femmes, mais on a des réserves sur la disposition relative au pardon", a affirmé Hassina Oussedik. "AI demande incessamment aux autorités d'adopter une loi globale pour lutter contre la violence liée au genre en collaboration avec les associations concernées", a-t-elle ajouté, par ailleurs. Autres avancées : certaines dispositions dans le code de procédure pénale relatives à la détention préventive, même si, là aussi, elle exprime des réserves sur le "fait qu'un avocat ne puisse pas assister à l'interrogatoire" ; l'article 41 relatif à la liberté de la presse avec, cependant, un bémol pour l'exigence formulée du respect "des constantes et la religion", "ce qui donne la latitude au législateur d'interpréter la loi à sa guise et de faire pression sur les médias", ou encore concernant l'indépendance de la justice, la disposition relative à "l'inamovibilité" des magistrats, avec, toutefois, la "réserve" sur le Conseil supérieur de la magistrature. Par ailleurs, elle note un vide "pour l'abolition de la peine de mort". Comme dans de nombreux pays à travers le monde, la situation des droits de l'Homme en Algérie durant l'année 2015 n'est guère reluisante. Dans le rapport, la représentante en Algérie égrène toutes les violations enregistrées durant l'année écoulée, que ce soit pour la liberté de manifestation avec les arrestations opérées à Laghouat ou à Ouargla, la marche de l'opposition empêchée pour dénoncer l'exploitation du gaz de schiste, les arrestations à Ghardaïa, ou encore les atteintes à la liberté d'expression comme les poursuites contre le journaliste d'Al Djoumhouria, Mohamed Chergui, pour "atteinte au prophète" (QSSSL), Rachid Aouine pour une publication sur facebook, tout comme le caricaturiste Tahar Djehiche, pour atteinte "au Président", ou le cas d'Abdelhai Abdessamia, poursuivi pour avoir aidé à exfiltrer l'ancien directeur de Mon Journal, et de Hassan Bouras, défenseur des droits de l'Homme, pour "outrage à corps constitué". S'ajoutent à cela, les entraves au travail des associations dont beaucoup n'ont pas reçu de récépissé d'enregistrement au niveau du ministère de l'Intérieur. "En 2015, la plupart des Etats ont violé les lois qui protègent les droits humains", relève Mme Hassina Oussedik. "Les systèmes de protection sont affaiblis au niveau national", ajoute-t-elle, non sans critiquer les politiques élaborées qui, au motif de lutte contre le terrorisme, visent à mater les droits. "Les droits humains ne sont pas comptés dans la lutte contre le terrorisme", dit-elle. "AI appelle à la révision de la loi sur les associations. On espère que le discours des autorités sur le renforcement des droits humains, dans la nouvelle Constitution, sera concrétisé sur le terrain et dans l'élaboration des lois organiques", a affirmé, pour sa part, Younes Saâdi. Karim Kebir