Au commencement, fut l'âge d'or des Imazighen. Dans son nouveau livre, Younès Adli nous relate l'histoire glorieuse des pigelliden de la trempe de Meghyey, le fils de Ded, Hierbas qui donna laânaya à la reine Elissa Didon de Tyr (en Phénicie), Sheshanq qui inaugura l'ère des dynasties des pharaons berbères qui s'étala sur deux siècles et demi, Massinissa qui dota le libyque du statut de langue officielle... Dans un style académique, l'auteur enchaîne avec l'admiration des Grecs devant cette civilisation. Ils furent les premiers à considérer les fables amazighes comme un genre littéraire. Du philosophe Aristote (qui révélait que le poète tragique Eschyle s'inspirait de ses fables, déjà au VIe siècle av. J.-C.) à l'auteur Douris du IIIe siècle, en passant par le poète épique Homère, Platon (le père de la philosophie), Euripide et l'écrivain Plutarque, tous ces grands noms ne tarissaient pas d'éloges pour la Berbérie. Jusqu'à Hérodote, considéré comme le père de l'histoire, il ne déniait pas l'avance que comptaient les Berbères sur d'autres peuples, particulièrement dans l'art de la guerre. Chevauchant avec celles des Phéniciens et des Romains, cette période grecque de notre histoire avait fait jonction avec un temps où les igelliden étaient ballottés, selon Younès Adli, "entre grandeur et inaccomplissement". Grandeur, lorsque l'on songe à ce même Massinissa qui fonda le premier Etat amazigh et qui positionna économiquement la Numidie comme le principal fournisseur en blé et en orge des Grecs et des Romains. Micipsa qui s'était délesté de ses charges militaires pour prolonger l'œuvre de civilisation de son père Massinissa. Son fils, Hiempsal, qui fut le père d'une nouvelle discipline scientifique intitulée : l'origine des peuples. Juba II qui fit de sa capitale Caesarea (l'actuelle Cherchell) la ville la plus importante de toute l'Afrique du Nord en matière d'œuvres d'art de qualité et à qui l'on doit la découverte de l'île de Madère ou encore de la plante "euphorbe" (aux vertus laxatives). L'historien romain Pline s'était même inspiré de ses ouvrages, lui empruntant quelques termes berbères, intéressé qu'il était par leur signification. Grandeur de ces igelliden, certes, mais inaccomplissement aussi, au regard de leurs prises de position, d'abord dans les guerres qui opposèrent les Grecs aux Phéniciens, faisant basculer le rapport de forces en faveur de ces derniers, ensuite dans les guerres puniques entre Phéniciens et Romains. Bien que constante chez ces igelliden, la méfiance vis-à-vis du conquérant étranger du moment ne leur permit pas de s'autodéterminer et de préserver l'intégrité territoriale de la Berbérie, une bonne fois pour toutes dans l'histoire. L'auteur affiche comme une désolation même, au regard de la forme démocratique des institutions berbères qui était antérieure à celles des Carthaginois et datant au moins de la même période que celles des Grecs. En passant par les périodes vandales et byzantines où l'auteur revient sur certains chefs berbères très peu connus jusque-là, mais retenant l'attention par leur attachement à l'indépendance, comme Gabaon, Yebdas, Antalas, Massinas ou encore Cutzinas, le livre aborde sa partie intitulée "L'identité doctrinale mystificatrice" où apparaissent des noms de femmes tigellidin, à l'image de Dihya, plus connue sous le nom de La Kahina. A propos de cette tagellidt, hissée à la tête de la résistance à la première invasion arabe en Afrique du Nord (aux côtés de Koceila — Aksil de son vrai nom — d'abord, puis seule, à la mort de ce dernier), Younès Adli apporte du nouveau dans son analyse, en consacrant tout un chapitre sur la parité hommes-femmes dans l'histoire des Imazighen (en Kabylie, en particulier). Le lecteur est ensuite invité à suivre la "courbe d'histoire", depuis les igelliden jusqu'aux sultans, dans sa phase en même temps délicate et riche en enseignements. A la suite de la première invasion arabe du VIIe siècle, la seconde invasion, menée au XIe siècle, enregistra l'entrée des Béni Hilal, Béni Souleïm et des Béni Maâkil à un moment où, même organisés en royaumes indépendants contre l'introduction du khalifat en Afrique du Nord, les Imazighen se laissèrent majoritairement enveloppés par "une identité doctrinale mystificatrice" des origines et, "davantage, corrosive" de celles-ci. Affaiblis au préalable par leurs querelles intestines, ces royaumes connurent des démembrements importants. Pire, leurs souverains, qui s'accommodèrent généralement des titres de sultans ou de princes, recoururent au renfort de ces nouveaux arrivants au moyen des riches terres des plaines qu'ils leur distribuèrent au gré de leur détermination à destituer leurs frères rivaux. Cette dérive qui deviendra de plus en plus incontrôlée dans l'histoire de Tamazgha, sera accentuée, dès le XVIe siècle, par les invasions chrétiennes (espagnoles et portugaises) et surtout turques. Les réactions des souverains amazighs (arabisés et islamisés, pour la plupart) furent différentes mais généralement négatives, à l'image du marasme identitaire qui s'installa en mal durable, comme le détaille l'auteur, pays par pays de l'ancienne tamazgha. Ce mal identitaire endémique induisit des conséquences politico-religieuses qui facilitèrent, dans certains pays, le passage de la suzeraineté entre des mains qui se joignirent confortablement aux protectorats étrangers. L'auteur cite, dans ce cas, le Maroc et la Libye. Dans le cas tunisien, poursuit Younès Adli, le mouvement national avait certes arraché le pays à la monarchie et au protectorat français, mais il ne s'était pas préoccupé pour autant de ses propres origines. En fait, pour l'auteur, le constat est facile à faire : dans les trois pays qu'il cite, "le problème identitaire ne fut jamais posé, car occulté par la sacralité de l'arabo-islamisme". Le cas algérien, par contre, se présente comme une exception en Afrique du Nord. La raison historique majeure réside dans le fait que "des Kabyles avaient transcendé cette sacralité et avait défendu, dès 1949, à l'intérieur du Mouvement national, la légitimité des racines amazighes". Ceci, malgré l'orientation de la guerre de libération, laquelle, par la suite, "se résolut à l'unique objectif de l'indépendance". Aussi, poursuit Younès Adli, "à la différence du Maroc, de la Tunisie et de la Libye, l'Algérie renferme en la Kabylie une région qui a toujours tenu un rôle central dans la préservation et la défense de l'identité ancestrale". Pour ces raisons, le dernier titre du livre, "La résistance permanente de l'arrière-pays : l'exemple kabyle", s'appuyant sur une étude renouvelée, place la Kabylie au milieu d'une tourmente historique depuis l'indépendance de l'Algérie acquise en 1962. Ainsi, la Kabylie est-elle présentée dans son particularisme (puisé de son enracinement historique), "sa singularité politique" et ses "précurseurs de la paix entre les religions", appréhendés à la lumière d'une analyse profonde et pertinente. Ce dernier titre, exhorte à une nouvelle approche et à une réflexion objective sur la Kabylie. Les mérites de cette dernière et ses apports à l'histoire ancienne comme immédiate du pays, apparaissent à la hauteur des débats majeurs qui agitent le monde du XXIe siècle ; et, sur ce plan, l'arabo-islamisme, par exemple, estime l'auteur, "est indéniablement en butte à un phénomène nouveau d'émancipation..." En conclusion de son ouvrage, Younès Adli va plus loin dans son analyse, jusqu'à poser une question inédite à propos d'un complot anti-amazigh à grande échelle. Dans le cas où cette éventualité est amenée à se vérifier, l'auteur n'hésite pas à désigner comme responsables "tous les intégrismes qui risquent, à terme, de façonner un monde indigent qui conduira inéluctablement à une pauvreté de civilisation". R. C.