Exit le temps où des automobilistes égarés sur l'asphalte coloniale s'arrêtaient en rase campagne au niveau du premier mausolée bâti sur la terre glaise pour solliciter sa baraka et sa protection contre les dangers de la route. Et c'est vrai que prendre la route à cette époque n'était pas une partie de plaisir. Et quand un teuf-teuf tombait en panne sur le bitume d'une départementale, on était bien content d'appeler les “saints” à la rescousse. D'autant plus content que les campagnes de l'Oranie étaient truffées de “goubas” visible de loin à leur couleur blanche immaculée. Dans ces sites paisibles et bucoliques, construits loin des clameurs des villes reposent en général des hommes qui ont consacré toute leur vie au culte, à la propagation de la foi et aux sciences islamiques. Certains ont même été à l'origine de courants philosophiques importants comme le soufisme que nous devons à l'imam El Houari. Et contrairement à ce que l'on croit, le patron d'Oran est né en fait à Chaâbat el Hem (ex-Lavayssière) dans la wilaya de Témouchent. D'autres tout aussi prestigieux, tel l'imam Boumediène de Tlemcen (en fait Abou Médiene) ont été les élèves assidus de Abdelkader El Djillali lorsqu'il enseignait à La Mecque. Certains à l'image de Bakhlouf (Mostaganem) ont été tour à tour poètes, chefs de guerre face à la première conquista espagnole et exégètes. De hadj El Anka à Guerrouabi en passant par Maâzouz Bouadjadj, il n'y a pas un chanteur de chaâbi qui n'ai pas puisé une kacida dans l'immense répertoire du maître. La légende populaire a même tressé des nimbes et des couronnes fantastiques autour de ces mausolées. Elle prétend par exemple que Sidi Khaled (Tiaret) aurait détruit après sa mort, par la force de sa seule main, sa propre pierre tombale. Elle prétend également que Sidi Saâda Bounakous (Relizane) ferait sonner une cloche mystérieuse à chaque fois qu'un pèlerin réclamait avec insistance son intercession. Exit ce temps. Le temps des Algériens d'une seule “khaïma”. Le temps de la foi naïve et de la peur du gendarme. Exit le temps de l'amour du prochain, du respect des anciens. Les taâm et les ouadate ne se fêtent plus à grand renfort de chevaux hennissant au milieu des pauvres et des prières. Elle sont célébrées en quatre roues à coups de brochettes et de vendeurs forains. La baraka, ma foi, personne n'en a cure. Mustapha Mohammedi