La baraka que nos anciens allaient quêter dans les goubas, après quelques heures de marche, a-t-elle encore un sens aujourd'hui ? Et ce temps mièvre et crédule d'une autre époque est-il bien fini ? Difficile de répondre à une question à géométrie fixe dans un monde où tous les paramètres sont variables. Mais, au fond, qu'importe ce que les fidèles d'entre les deux guerres venaient chercher dans ces mausolées perchés sur des collines, souvent au milieu de nulle part, mais ils trouvaient au moins la paix. La campagne était reposante, ni voisin ni béton qui blessent la vue. Les fruits avaient la saveur de fruits et les oueds fleurèrent bon la cambrousse. Intimidés par le silence profond du sanctuaire, les malheureux s'empressaient de déposer directement un cierge allumé au pied du tombeau du saint.Certains imploraient son intercession, d'autres lui soumettaient une chikaya formulée à voix basse. Quelques-uns recouvrirent le sépulcre de foulards verts et de reliques et, parfois même, de henné pour gagner ses bonnes grâces, pendant que brûlaient au fond d'un encensoir musc et benjoin. Pour exorciser le démon de leur stérilité, des femmes, incapables de procréer, déchirèrent leur haïk en signe de pénitence et entrèrent en transe. Des talebs et autres gris-gris du douar ayant montré apparemment leurs limites. Des miracles, il n'en eut point. Et le rituel des aînés a fini par prendre de l'âge. Les prières se sont tues. Mais pas les randonneurs qui braillent tous les week-ends sur ces sites. Des piqueniqueurs en survet' qui s'amusent comme des fous dans un décor bucolique où le mausolée n'est qu'un repère, au mieux un mobilier rural. C'est le cas de Sidi Mansour, près de Mostaganem, où le vent du large attise bien des barbecues. C'est le cas de Sidi Mohamed El Bahri à l'ouest d'Oran dont on a exhumé et transféré les restes dans le seul but de libérer la plage des Andalouses. C'est le cas de cet autre mausolée, élevé il y a trois siècles sur l'actuel pêcherie et rasé par les Français qui voulaient tracer une route qui rejoigne Mers El-Kebir. Pour l'occupant, ce n'était sans doute qu'une banale histoire de pierres. C'est précisément l'histoire de ces pierres qu'il nous faudrait écrire aujourd'hui. Elle est notre baraka. M. M.