Le tableau qu'il dépeint est, certes, des plus sombres mais les réalités qu'il évoque ne font que lever quelque peu le voile sur le vrai visage de l'Algérie et sur le vécu quotidien d'une jeunesse complètement désemparée. Allah au pays des enfants perdus, dont l'édition algérienne vient d'être lancée par les éditions Frantz Fanon, ressemble à une visite guidée au cœur de la "gangrène" algérienne. Dans ce roman où la comédie se mêle avec la tragédie et le rêve au désespoir, son auteur, Karim Akouche, qui a animé, mardi, une conférence débat au département de littérature française de l'université de Tizi Ouzou, s'insurge contre toute forme de dogmatisme et de fanatisme. Il commence par choisir à l'Algérie le surnom d'"absurdistan" où le rationnel est supplanté par le religieux. Au fil des pages, il déploie tout son talent pour décrire les horizons bouchés, une Algérie officielle qui décourage tout talent et le vécu d'une jeunesse sans cesse à la recherche de bouées de sauvetage et qui fait de plus en plus de l'autre rive son seul rêve. L'auteur, qui est également chroniqueur au Huffingtonpost Canada, nous plonge dans une histoire qui se déroule précisément dans un village de Kabylie mais qui passe en revue tous les grands maux de l'Algérie : la bureaucratie, la corruption, le déni de droit, la faillite de l'Etat, l'impossible rêve mais surtout l'islamisme qui a rendu possible "l'association de Dieu à toutes les sauces". Dans un style incisif, et tout en refusant, dit-il, de céder à la tentation sentimentaliste, Karim Akouche décrit à travers ses personnages la douleur de tout un peuple. "Un peuple pris en otage et étouffé par une hydre à deux têtes : le pouvoir et l'islamisme", dit-il en estimant que le péril algérien vient de l'harmonie entre le képi et la chéchia. Au cœur de ce qu'il qualifie de "drame algérien", l'écrivain place également l'identité algérienne. "En Algérie, il y a une identité meurtrière et des identités meurtries", dit-il comme pour compléter le titre d'Amin Malouf. Parmi ces identités meurtries, l'auteur, originaire de Kabylie, cite tout naturellement l'amazighité dont on a tout fait pour l'effacer au profit de l'arabo-islamisme qui fait de tout Amazigh un être perpétuellement exilé et profondément renié par son pays. L'œuvre de Karim Akouche se veut un "roman-réquisitoire" qui, dit-il, rend justice à une jeunesse désemparée, oubliée par les politiques, les médias et le temps qui passe. Samir LESLOUS