Il y a sans doute un inconvénient, au moins, à s'engager dans une polémique, apparemment, voulue par El Moudjahid : ce serait donner une petite visibilité, quoique ponctuelle et momentanée, à un journal qui a cette caractéristique, à la fois exclusive et paradoxale, de survivre... sans lecteurs. Nul besoin d'avoir des lecteurs, lorsqu'on peut compter sur la générosité du Trésor public et de la publicité institutionnelle en contrepartie d'une disponibilité infaillible - et, au fond, bien obligée - à servir la soupe bien chaude, tous les matins, aux décideurs du moment. Forcément, donc, c'est avec un petit pincement au cœur, mais certainement avec un réel plaisir, aussi, que nous revenons ici sur ce "commentaire" publié hier par ce quotidien gouvernemental, dans sa dernière page. Dans l'article en question, un certain Cherif Jalil qui, soulignons-le, n'existe pas et ne sert que de "prête-nom" comme ceux dont on use dans les paradis fiscaux, s'emploie, péniblement et visiblement sans conviction, à faire la démonstration de l'innocence du ministre de l'Industrie et des Mines, cité dans le scandale des Panama Papers, comme le fondé de pouvoir de M. Bouchouareb, lui-même, n'a pas osé le faire. Sauf qu'au lieu de s'essayer, même si ce n'est guère le rôle d'un journal qui se respecte, à laver le ministre des soupçons de fraude qui pèsent sur lui par une récusation argumentée des faits qui l'accablent et qui, eux, sont avérés et soutenus par des documents authentiques, le mystérieux Cherif Jalil se suffit de s'en prendre à la presse et, tout spécialement, à Liberté. Sans, toutefois, le nommer, mais en donnant assez d'indices pour l'identifier. Mais on ne soigne pas une forte poussée de fièvre en cassant le thermomètre. Or, la fièvre est, bel et bien, là, puisque M. Bouchouareb a créé une société offshore au Panama alors qu'il était déjà ministre et son fondé de pouvoir a bien expliqué qu'il avait agi ainsi pour financer l'acquisition d'un bien immobilier à Genève pour sa fille. Notre (faux) confrère fait mine d'ignorer que ce sont 109 rédactions du monde entier, réparties sur pas moins de 76 pays, qui ont mené des investigations sur les sociétés offshore au Panama et dont les informations ont été reprises par l'ensemble des médias écrits et audiovisuels de la planète. Pourquoi donc en vouloir à un journal algérien de répercuter une information sur l'implication d'un ministre algérien dans un scandale planétaire ? Parce que "ce sont les intérêts du pays qui sont en jeu", nous dit l'énigmatique alias Cherif Jalil. Soit. Mais qui, dans cette histoire, ruine les intérêts du pays ? Ceux qui, comme Bouchouareb, placent "leur" argent dont l'origine est douteuse, dans des paradis fiscaux ? Ceux qui, comme El Moudjahid, s'échinent à nier les évidences, à défendre l'indéfendable et nous disent : "Circulez, y a rien à voir", en ayant l'incroyable culot de nous donner des leçons de patriotisme ? Ou ceux qui, comme Liberté et d'autres, tentent, dans ce pays où l'on sait que les tenants du pouvoir sont agacés par l'existence d'une presse qui tient à sa liberté et à son indépendance, de mettre en lumière les dépassements politiques et autres malversations financières qui sont légion dans notre pays et qui menacent, désormais, la cohésion nationale? À Liberté, nous sommes convaincus qu'en exerçant convenablement notre métier, nous servons déjà les intérêts du pays. C'est pour cette raison que nous continuerons à traquer les abus de pouvoir, le délit d'initié et la corruption, autant que faire se peut, quitte à reprendre la presse étrangère, le cas échéant. Nous nous vantons, modestement, cela étant, de ce qu'il est déjà arrivé à la presse étrangère de reprendre des informations de Liberté, n'en déplaise à Cherif Jalil. Si El Moudjahid ne peut pas en dire autant, cela ne l'empêche pas d'accuser la presse algérienne d'être "supplétive" d'une presse française, "aux ordres". Venant d'El Moudjahid, c'est le comble. S. C.