Nombre de pays éclaboussés par cette affaire ont promis de réagir fortement face à ces révélations. Qu'en sera-t-il de l'Algérie ? Abdesselam Bouchouareb, ministre de l'Industrie et des Mines, qui compte parmi les fidèles des fidèles du cercle présidentiel, vient d'être éclaboussé par les révélations du scandale Panama papers, des documents confidentiels attestant de sa possession depuis juillet 2015 d'une société offshore domiciliée au Panama, sous le nom de Royal Arrival Corp et gérée par le biais de la Compagnie d'études et de conseil (CEC) dont le siège est au Luxembourg. Il faut signaler que ces sociétés dites extraterritoriales servent souvent de sociétés écran soit des entreprises fictives, créées pour dissimuler des transactions financières issues de l'évasion fiscale ou du blanchiment d'argent illégalement perçu. Ces informations divulguées par l'International consortium of investigative journalists (Icij) à partir des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca font état ainsi de l'existence d'un compte bancaire en Suisse précisément à la NBAD (National Bank of Abu Dhabi), dont la filiale suisse, basée à Genève, est spécialisée dans la gestion de fortune et le négoce. Des "biens hérités", d'où et de qui ? Saisi auparavant par le lanceur d'alerte (Icij), le responsable de cette société qui a pour objet des activités de représentation et de négoce dans les secteurs des travaux publics et le transport ferroviaire et maritime, en Turquie, au Royaume-Uni et en Algérie avait déjà confirmé qu'Abdesselam Bouchouareb en était l'unique propriétaire. L'établissement en question devait servir, avait-il affirmé, à gérer les "biens hérités" du ministre. Le fondé de pouvoir de la Compagnie d'études et de conseil, le Français Guy Feite, agissant pour le compte de Bouchouareb, nous a même adressé hier ses précisions : "La Compagnie d'études et de conseil (CEC) mandatée pour agir pour le compte de Monsieur Abdesselam Bouchouareb confirme qu'elle est à l'initiative de la création de la société Royal Arrival Corp dont la constitution s'est faite en toute transparence et toutes les informations ont été communiquées y compris ses fonctions actuelles." Dans sa précision, son fondé de pouvoir, Guy Feite, assure que "la société avait pour objet de reprendre et gérer les biens patrimoniaux existants avant l'entrée en fonction de Monsieur Bouchouareb". Dans un email dont le contenu a été révélé hier par le journal Le Monde, Guy Feite expliquait déjà le 6 avril 2015 au bureau luxembourgeois de Mossack Fonseca que "M. Bouchouareb s'est constitué un patrimoine en étant industriel et il n'a pas besoin de la politique pour vivre", avait-il tenu à assurer. Ainsi, le ministre qui n'a pas jugé utile de recourir à un prête-nom aurait seulement voulu gérer et optimiser dans le cas d'espèce son patrimoine, en ayant recours aux paradis fiscaux. Cela dit, la réglementation algérienne des changes est, sur ce point, on ne peut plus formelle : "La constitution d'avoirs monétaires, financiers ou immobiliers à l'étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie est interdite." Conflit d'intérêts Il reste également à savoir s'il n'y a pas un quelconque conflit d'intérêts sachant que ce ministre, bien en vue, est chargé d'une fonction gouvernementale réputée d'intérêt général et pour laquelle il est souvent amené précisément à prendre des décisions importantes tant pour l'économie que pour les finances du pays. Bouchouareb est en effet directement impliqué dans les négociations avec plusieurs compagnies étrangères. Aussi, le risque zéro en matière de délit d'initié, de blanchiment d'argent et autre trafic d'influence n'existe pas, de surcroît, dans un pays aussi "transparent" que l'Algérie. Le représentant de Bouchouareb jure que la société en question n'a jamais été active et que les formalités d'ouverture d'un compte bancaire à la NBAD de Genève ont été annulées sur demande du ministre : "Nous vous confirmons que Monsieur Bouchouareb nous a demandé de geler cette société pendant l'exercice de mandats publics." Feite avait pourtant précisé, au préalable, que "ce portefeuille d'un montant de 700 000 euros transféré de la BIL (Banque internationale du Luxembourg) vers NBAD Genève est ‘cantonné depuis ses prises de fonctions politiques'". Mais quel crédit accorder à cette "mise au point" après que le journal Le Monde eut révélé dans son édition d'hier que son auteur, ce même Guy Feite, avait exercé comme agent de change avant d'être inculpé dans les années 1980 et incarcéré pour une vaste escroquerie de petits porteurs ? Comment, par ailleurs, et surtout dans quel but, notre ministre de l'Industrie et des Mines en exercice s'est-il acoquiné avec une personne si peu recommandable ? Pis encore, Le Monde rappelle, sans ambages, que le nom de Bouchouareb, une "personnalité politiquement exposée", apparaît dans l'affaire Khalifa laissant entendre ainsi que les fonds du ministre en proviendraient. Que fera l'Etat algérien ? Cette affaire Panama papers ne concerne pas que le seul Bouchouareb. Au total, ce sont pas moins de 128 dirigeants politiques et de hauts fonctionnaires qui figurent dans ces "petits papiers" dont notamment plusieurs chefs d'Etat et de gouvernement impliqués. Pour y faire face, nombre de pays éclaboussés par cette affaire ont promis, dès hier, de réagir fortement face à ces graves révélations. Au programme des enquêtes fiscales et des procédures judiciaires pour faire toute la lumière sur les informations livrées à l'opinion mondiale. Qu'en sera-t-il de l'Algérie ? À l'heure où nous mettons sous presse, aucune réaction officielle ou action n'a été annoncée. C'est le silence-radio si ce n'est cette dépêche laconique de l'APS qui reprend in extenso les affirmations de M. Feite, fondé de pouvoir controversé de Bouchouareb. Connaissant le fonctionnement de la justice algérienne, une auto-saisine du parquet d'Alger n'est pas évidente. M.-C. L.