Il y a à peine deux ans, elle ne pensait jamais partager le même espace avec ces grandes signatures d'El Khabar, qu'elle lisait, chaque matin, pendant ses années de fac. Imene Fraoussi, jeune journaliste, redoute, aujourd'hui, le pire : "C'est un rêve qu'ils veulent tuer." À l'entrée de l'immeuble du quotidien El Khabar, à Hydra, sur les hauteurs d'Alger, des affiches frappent le regard : "On n'abdiquera jamais". L'agent de sécurité accueille les visiteurs, chaque jour un peu plus nombreux. L'acharnement du ministre de la Communication, Hamid Grine, contre le journal, a eu un effet inverse ; une plus grande sympathie citoyenne pour El Khabar. Lamia, la jeune standardiste, est submergée par les appels. Elle manipule à la fois les deux appareils téléphoniques qui n'arrêtent pas de sonner. Des citoyens et des lecteurs appellent des quatre coins du pays, mais aussi de l'étranger, pour exprimer leur soutien. Sur le fax et la boîte mail du journal, du courrier tombe sans cesse. Des milliers d'adhésions à la pétition "Cri des hommes libres pour défendre l'Algérie des libertés". Difficile d'interroger Lamia. Il y a toujours quelqu'un au bout du fil. Entre deux appels, elle arrive, quand même, à livrer un témoignage : "Beaucoup de citoyens appellent pour affirmer leur présence le 11 mai, jour du procès, devant le tribunal administratif de Bir-Mourad-Raïs. Ils disent qu'ils ont grandi avec ce journal et reconnaissent le fait qu'il a porté haut leurs voix, leurs malheurs et leurs problèmes de tous les jours." À l'étage, de jeunes visages illuminent la grande salle de la rubrique locale. Imene Fraoussi, jeune journaliste, la vingtaine, a la rage au cœur. Une crainte flotte, cependant, sur son regard. Il y a à peine deux ans, elle ne pensait jamais partager le même espace avec ces grandes signatures d'El Khabar qu'elle lisait, chaque matin, pendant ses années de fac. Son rêve s'est réalisé en novembre 2014, mais aujourd'hui, elle redoute le pire : "Ils veulent tuer mon rêve." "El Khabar", cette famille poussée au divorce ! Dans les locaux, les couloirs et les salles de rédaction règne une ambiance fraternelle. El Khabar a tout l'air d'une famille, la famille qui avance. Mais c'est aussi la famille qu'on veut pousser au divorce forcé. Le jeune journaliste Mohamed Sidoummou ne se considère pas comme un fonctionnaire. Il parle de ce lien affectif avec son journal. "Avant même de rejoindre El Khabar, j'admirais ses plumes libres et courageuses. Hamid Grine veut briser un idéal, il veut nous toucher dans notre être." À côté, Hamid Goumrassa, l'une des plus vieilles et talentueuses signatures du journal, lève les yeux de son clavier et s'insurge. Son collègue Mohamed Sidoummou n'aurait pas dû évoquer ce nom : Hamid Grine ! Il ne comprend pas comment le ministre de la Communication se substitue à l'Autorité de régulation de la presse écrite. Mais ce qu'il craint le plus est de voir le gouvernement faire pression sur la justice. "Le 11 mai, nous allons voir laquelle des deux images sera définitivement ancrée dans l'imaginaire des Algériens : celle du juge qui fonctionne au coup de fil, ou bien celle de la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice tel que le prétend la nouvelle Constitution." Pendant que les deux collègues échangent sur la tentative de condamnation à mort de leur journal, d'autres restent appliqués dans leur travail. C'est la règle et c'est le rédacteur en chef d'El Khabar, Mohamed Baghali, qui l'impose. Derrière son bureau, il explique la démarche : "Une partie du combat est de continuer à travailler. Tout le monde est engagé et milite, mais c'est aussi tout le monde qui continue à produire et à s'acquitter de ses tâches." Mohamed Goumrassa a presque tout le temps de la compagnie dans son bureau. Des personnalités y affluent, tour à tour, depuis quelques jours. Voici d'ailleurs Karim Tabbou, ancien premier secrétaire national du Front des forces socialistes (FFS) et membre fondateur de l'Union démocratique et sociale (UDS), un parti non encore agréé, qui arrive. Il est venu exprimer son soutien et assurer de sa présence le jour du procès. Pour lui, il s'agit plus que d'un devoir, puisqu'il est question d'une grave atteinte à la liberté d'expression. "Si la classe politique ne réagit pas, nous allons ouvrir la porte à toutes les dérives. Il y a une volonté de réduire le pays au silence", donne-t-il l'alerte. Bientôt une autre visite de marque, le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), Me Nourredine Benissad. Sa présence apporte une réponse aux craintes de Karim Tabbou : la classe politique ne compte pas se taire. La mobilisation autour d'El Khabar est en passe de devenir légendaire. Il est ainsi des rêves qui ne meurent jamais. M. M.