Le psychiatre et docteur en sciences biomédicales, Mahmoud Boudarène, revient dans cet entretien sur l'état de choc des candidats au baccalauréat à Mihoub, une localité touchée, le 29 mai dernier, par le séisme. À la veille de la 2e session, prévue du 19 au 23 juin, M. Boudarène parle de ce qui aurait dû être fait pour une meilleure prise en charge des candidats. Liberté : Les candidats au baccalauréat 2016 dans la localité de Mihoub, à Médéa, se trouvent toujours dans un état de choc après le séisme du 29 mai dernier. Après une première épreuve déjà très difficile, ils sont appelés à refaire le baccalauréat à Médéa et à Blida, sachant que toutes les écoles de Mihoub ont été détruites. Comment ces facteurs pourraient-ils influer sur les candidats ? Mahmoud Boudarène : Je ne sais pas si les candidats au baccalauréat, dans cette localité de Mihoub, sont vraiment dans un état de choc. Si c'est le cas, cela veut dire que ces élèves sont en proie à un malaise, à une détresse profonde et qu'ils sont dans l'attente angoissante d'un autre séisme dont l'imminence est proche. Voilà une situation intenable qui ne peut pas ne pas avoir une influence néfaste sur les capacités intellectuelles de ces élèves. Il m'est personnellement difficile d'imaginer comment peut être organisé, dans de telles conditions, un examen aussi déterminant que le baccalauréat, sans risquer de réduire substantiellement les chances de succès de ces élèves. Faut-il souligner que cet examen est à lui seul un concentré de doutes, d'inquiétudes et de questionnements concernant l'avenir. Le baccalauréat n'est pas une composition ordinaire comme celles qu'un élève subit durant toute sa scolarité. À la peur de vivre un autre tremblement de terre vient s'ajouter la crainte d'une nouvelle fraude au baccalauréat et l'angoisse de l'échec à celui-ci avec ses conséquences sur l'avenir du sujet. Les pouvoirs publics n'ont pas communiqué et fait de la pédagogie, ni pour les séismes qui se sont produits ces derniers temps, ni pour ce scandale de la fraude au baccalauréat. Les élèves partiront à cette épreuve spéciale avec ce handicap. Ils devront faire avec. Que préconisez-vous pour que les candidats soient prêts à faire face à cette épreuve, d'autant que la prise en charge psychologique de ces candidats n'a pas été à la hauteur des attentes des parents d'élèves ? Si rien n'a été fait jusque-là, je devrais vous parler de ce qui aurait dû être fait. Parce qu'agir maintenant, à une semaine de ces épreuves spéciales, me paraît dérisoire. À moins de mettre en place, pour le jour même de l'examen, des équipes de psychologues pour parer à l'urgence, si le besoin venait à se manifester, mais cela ne garantirait pas aux élèves des épreuves d'examen menées dans de bonnes conditions. Est-ce que les sujets ont été accompagnés, au plan psychologique, à la suite des séismes qui se sont produits dans cette localité ? Vous semblez penser que ce n'est pas le cas. Pour autant, il aurait suffi d'organiser – à l'intérieur des classes ou dans des espaces aménagés pour cela – des groupes de discussions autour de ces événements pour réduire les craintes suscitées par le tremblement de terre. Faire de la pédagogie et donner le maximum d'informations scientifiques pour bien faire comprendre aux élèves que le séisme est un phénomène naturel qui se produit des milliers, voire des dizaines ou des centaines de milliers de fois par an à la surface du globe. Il faut, bien sûr, éloigner de l'esprit de l'élève toutes les croyances obscurantistes qui sont répandues ici ou là et qui accentuent les frayeurs. Faire accroire que le séisme – un phénomène naturel – est un message divin et que celui-ci exprime une colère contre une hypothétique faute commise par la communauté ou par l'individu éveille les peurs archaïques et multiplie de façon exponentielle la panique qui s'empare des foules à ces occasions. Chacun sait que l'école algérienne, otage depuis plusieurs années de l'idéologie, a excellé dans ce domaine. C'est pourquoi la pédagogie et l'information scientifique doivent être au centre du débriefing qui doit être mis en place dans les suites d'un séisme. Il est par ailleurs indispensable d'apprendre aux élèves les gestes les plus simples à accomplir au moment du tremblement de terre pour se protéger. Les Algériens ne sont pas différents des Japonais. Ils ont la même intelligence et leurs connections neuronales se font sans doute avec la même rapidité et la même souplesse. De ce fait, comme les enfants du pays du soleil levant, nos jeunes élèves peuvent — pour peu que nous leur donnions les moyens intellectuels — s'adapter à ce genre d'événements et les gérer sans trop en souffrir au plan psychique. Mais la prise en charge des candidats aurait dû être faite également à la suite de cette fraude massive au bac. Cet événement constitue également un traumatisme psychique que les autorités publiques auraient dû anticiper et prendre en charge. Informer les élèves et leurs parents de ce qui s'est produit était la moindre des choses. Les élèves concernés auraient dû être rassemblés dans les lycées autour des professeurs, «missionnés» pour la circonstance, pour être informés de ce qui s'est produit et pour rappeler à chacun le devoir de respecter, quelles que soient les circonstances, les valeurs que sont le travail, le mérite et l'effort. Mihoub enregistre une moyenne quotidienne de 4 à 6 répliques par jour. Comment voyez-vous l'avenir de ces candidats, mais aussi des élèves qui vivent des catastrophes naturelles ? Comment je vois l'avenir de ces candidats, des élèves qui vivent des catastrophes naturelles ? Je crois pouvoir dire qu'ils n'en mourront pas. C'est là un écart de langage, volontaire, de ma part pour bien vous signifier qu'au fond l'avenir de ces personnes n'est pas nécessairement hypothéqué. J'ai fait un parallèle avec les petits Japonais ou plus généralement la population japonaise. Voilà un pays qui vit des séismes violents assez régulièrement. Ils ont survécu et la vie a repris son cours normal. Encore une fois, tout est dans la pédagogie et la communication. La culture est essentielle dans une communauté. Elle réduit l'influence des croyances archaïques, magiques, obscurantistes et amoindrit leurs effets néfastes sur la vie psychique. Il faut savoir que la connaissance est l'antidote contre la peur, toutes les peurs. Dès lors que nous sommes informés d'un événement, nous pensons, nous avons le sentiment, que nous sommes en mesure de nous y adapter, de le gérer avec sérénité et apaisement. De ce fait, il aura moins de retombées négatives. Disons que cet événement devient moins stressant — le stress, j'ai fini par prononcer le mot — et donc qu'il nous coûte moins au plan psychologique. Il est indéniable que la communication est le vecteur de l'information. Au lieu d'investir ce terrain, il est déserté et laissé à la merci de la rumeur et de toutes sortes de charlatans qui distillent à dessein des informations erronées. Le danger est là. Entretien réalisé par : FARID BELGACEM