La célérité avec laquelle les autorités turques ont opéré les arrestations de militaires et de civils, dont près de 3 000 magistrats, soulève moult interrogations sur cette tentative de putsch, que le chef de la diplomatie française refuse de considérer comme "un chèque en blanc" à Erdogan pour effectuer des purges. Quarante-huit heures après la tentative avortée de coup d'Etat contre Recep Tayyip Erdogan et son gouvernement, le nombre d'arrestations et de limogeage de magistrats notamment est si impressionnant qu'il est quasi impossible de penser que toutes ces opérations soient le fruit d'enquêtes réellement menées par les autorités turques. Des centaines de généraux, juges et procureurs ont été arrêtés à travers toute la Turquie pour leur soutien présumé à la tentative de renversement du régime. Cela s'apparente beaucoup plus à une grande purge bien préparée à l'avance. D'aucuns pourraient légitimement se demander si le coup d'Etat manqué ne serait pas une simulation, une tentative fomentée par Erdogan pour s'en servir comme d'un prétexte pour sévir contre ses adversaires. "Le grand ménage continue", a déclaré hier à l'agence Anadolu le ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag, à propos des coups de filet en cours, tout en précisant : "Il y a environ 6 000 personnes en garde à vue." Pour rappel, le gouvernement turc avait déjà annoncé samedi l'arrestation de près de 3 000 soldats pour leur rôle présumé dans la tentative de renversement du régime. Ainsi, le Premier ministre Binali Yildirim n'a pas tardé à joindre le geste à la parole. En effet, après avoir averti les rebelles qu'ils "paieraient le prix fort", le gouvernement a lancé de vastes coups de filet dans toute la Turquie, qui ont permis des milliers d'arrestations. Quant à Recep Tayyip Erdogan, il a promis hier d'éliminer "le virus" factieux au sein de l'Etat turc, en s'adressant à une foule de partisans, au lendemain de l'échec du coup d'Etat mené par un groupe de militaires. "Nous allons continuer d'éliminer le virus de toutes les institutions étatiques (...) hélas ce virus, comme un cancer, s'est propagé à tout l'Etat", a-t-il lancé pendant son intervention lors d'une cérémonie à la mosquée Fatih, à Istanbul, à la mémoire des victimes des militaires rebelles. Micro en main entouré d'une foule de fidèles, le président turc a aussi appelé ses partisans à continuer de tenir la rue pour manifester leur soutien au régime. 34 généraux arrêtés D'après la chaîne de télévision NTV, 34 généraux de différents corps ont été arrêtés jusqu'à présent. Il s'agit notamment de figures emblématiques de l'armée comme Erdal Ozturk, commandant de la troisième armée, et Adem Huduti, commandant de la deuxième armée. Tôt hier matin, dans la ville de Denizli située dans l'ouest de la Turquie, le commandant de la garnison Ozhan Ozbakir a été arrêté avec 51 soldats, a rapporté l'agence de presse Anadolu. Selon cette même source, la purge ne se limite pas à l'armée, puisque des mandats d'arrêt ont été délivrés à l'encontre de 2 745 juges et procureurs dans toute la Turquie. De son côté, l'agence Dogan a indiqué que 44 juges et procureurs avaient été arrêtés dans la nuit dans la ville de Konya et 92 dans celle de Gaziantep. Le nombre total des arrestations est tellement important qu'il est difficile à évaluer avec exactitude. L'enquête a été confiée à des procureurs d'Ankara et les personnes arrêtées sont soupçonnées de liens avec le prédicateur exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen. Accusé par le président Erdogan d'avoir fomenté cette tentative de putsch, l'imam a fermement démenti la moindre responsabilité dans un entretien au New York Times, suggérant que le président turc pourrait en être lui-même l'instigateur. C'est, certes l'avis d'un opposant à Recep Tayyip Erdogan et la rapidité d'interventions et la grandeur de la purge dans plusieurs corps lui donnent du crédit, car laissant supposer que des listes des personnes à arrêter ou à limoger étaient déjà prêtes. Inquiétude des Occidentaux Ces représailles, qui ont débuté immédiatement après l'échec de la tentative de putsch n'a pas manqué de susciter des inquiétudes à l'étranger, notamment dans les pays occidentaux. Le président américain Barack Obama a été le premier à réagir en rappelant à la Turquie "le besoin vital" que toutes les parties concernées "agissent dans le cadre de l'Etat de droit". Hier, c'est le ministre français des Affaires étrangères qui lui a emboîté le pas en déclarant que le coup d'Etat raté en Turquie n'est pas un "chèque en blanc" pour Erdogan, tout en appelant Ankara à respecter l'Etat de droit. "Nous voulons que l'Etat de droit fonctionne pleinement en Turquie", a déclaré le chef de la diplomatie française à la chaîne de télévision France 3. "Il ne faut pas faire de purges. Ceux qui ont porté atteinte à la démocratie doivent pouvoir être poursuivis dans le cadre de l'Etat de droit", a-t-il répété. "Les Européens sauront le rappeler lundi prochain (aujourd'hui, ndlr) encore à Bruxelles (où se tient un conseil des Affaires étrangères). Nous ne cesserons de répéter l'exigence démocratique vis-à-vis des Turcs", a conclu Jean-Marc Ayrault. Même son de cloche chez le ministre autrichien des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, qui a appelé hier Ankara à ne pas "utiliser à mauvais escient" le coup d'Etat manqué et de ne pas en faire une "carte blanche pour l'arbitraire". Bouteflika condamne Enfin, de son côté, Abdelaziz Bouteflika a exprimé, hier, la condamnation par l'Algérie du coup de force en Turquie. "C'est avec un grand soulagement que j'ai accueilli le dénouement de la crise sécuritaire que vient de connaître votre pays frère, et ce grâce à la mobilisation de ses forces vives rassemblées autour de votre personne", a affirmé le chef de l'Etat. Merzak Tigrine