Des militaires sont soupçonnés d'avoir fomenté un complot visant à renverser le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan. C'est un véritable coup de filet que vient d'opérer la Turquie contre des cadres de son armée. Douze militaires, pour la plupart des officiers, ont été inculpés et écroués par un tribunal d'Istanbul pour avoir ourdi en 2003 un complot visant à renverser le gouvernement islamo-conservateur turc. Cette affaire a fait rebondir le conflit entre le parti au pouvoir et la hiérarchie militaire. Il y a trois jours, une quarantaine d'officiers turcs de haut rang étaient interrogés par la justice sur leur implication présumée dans ce complot. Dix-sept généraux à la retraite et 4 amiraux en activité, l'élite de l'armée, figurent parmi 49 militaires interpellés en Turquie et conduits à Istanbul. L'armée turque a qualifié ces arrestations de « situation sérieuse ». « Une réunion à laquelle ont participé tous les généraux et amiraux des forces armées turques a été organisée, au quartier général de l'état-major, pour évaluer la situation sérieuse survenue dans le cadre d'une enquête menée par le procureur de la République d'Istanbul », a affirmé l'état-major des armées dans un communiqué diffusé sur son site internet. Le document ne donne pas d'autre détail. La crise en Turquie, née de l'arrestation de militaires accusés de comploter contre le gouvernement islamo-conservateur, doit être réglée dans un cadre « constitutionnel », a indiqué la Présidence dans un communiqué à l'issue d'une réunion des dirigeants civils et militaires turcs. Cette riposte judiciaire d'une ampleur inédite contre l'armée, autrefois intouchable et qui se considère comme garante du régime laïc, a attisé les tensions entre partisans du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) et l'opposition. L'ex-chef de l'armée de l'air, le général Ibrahim Firtina, et l'amiral Özden Örnek, ex-commandant de la marine, ont notamment été arrêtés. Les suspects, dont au moins dix étaient interrogés par des procureurs mardi, sont accusés d'avoir cherché à fomenter le chaos en faisant exploser des mosquées pour déclencher une prise de contrôle par les militaires dans le cadre d'une opération baptisée Balyoz (masse de forgeron), dont le projet remonte à 2003, selon la presse. Ce plan avait été révélé en janvier par un journal. L'instigateur supposé du plan, l'ex-général Cetin Dogan, a été arrêté. Il a nié toute implication, affirmant qu'il s'agissait d'un « jeu de stratégie » militaire conçu à l'époque où il portait l'uniforme. L'état-major, qui a rejeté les accusations et dénoncé une campagne de dénigrement, a néanmoins reconnu l'existence de ce plan, évoquant lui aussi un « scénario de wargame » préparé en 2003. A l'issue de leur interrogatoire, tous les suspects devraient comparaître devant un tribunal d'Istanbul chargé d'examiner les allégations de complot en vue d'un coup d'Etat. Les militaires sont soupçonnés de « tentative de renverser le gouvernement par la force » et d'« appartenance à une organisation illégale », écrit la presse. L'armée turque, qui a démis quatre gouvernements depuis 1960, a vu ses prérogatives diminuer après des réformes du gouvernement AKP (au pouvoir depuis 2002), visant à aligner le pays sur les normes européennes. Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, s'est refusé à tout commentaire. Il a déclaré que le gouvernement se préparait à réviser le système judiciaire et la Constitution hérités d'un putsch militaire intervenu en 1980.